dimanche 10 mars 2024

Julia (saison 1) - une série de Daniel Goldfarb d'après la vie de Julia Child.

Julia

(Julia)

- saison 1 -
 
Une série de Daniel Goldfarb d'après la vie de Julia Child
 
Avec Sarah Lancashire, David Hyde Pierce, Bebe Neuwirth, Fran Kranz, Fiona Glascott, Brittany Bradford, Judith Light, Isabella Rossellini...
 
Date de diffusion originale : 31 mars 2022 sur HBO Max
Date de diffusion française : 22 juin 2023 sur Prime Video

    Mettant en vedette Sarah Lancashire et David Hyde Pierce, cette série s’inspire de la vie extraordinaire de Julia Child qui a connu le succès avec « The French Chef », une émission culinaire. À travers la vie de cette femme, la série explore une période charnière de l’histoire américaine.
 
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    Si vous connaissez Julia Child, c'est très certainement que vous avez lu Julie & Julia ou vu le film éponyme adapté par Nora Ephron. C'est en effet à ce livre semi autobiographique de Julie Powel et à sa transposition sur grand écran en 2009 avec l'inégalable Meryl Streep que l'on sait aujourd'hui (du moins de ce côté-ci de l'Atlantique) qui est Julia Child. Née en 1912, cette Américaine est aux États-Unis une véritable star, icône du petit écran pour avoir lancé en 1962 une émission de télévision culinaire consacrée à la cuisine française. Plus qu'une "Maïté californienne", sa célébrité tient au caractère précurseur de son émission autant qu'au vent de révolution qu'elle a apporté dans les cuisines familiales (la cuisine américaine relevant alors davantage du fast food que de la gastronomie), sans oublier bien sûr son charisme des plus sympathiques et son humour très souvent involontaire. Si Julie & Julia était l'expérience d'une jeune femme du XXIème siècle permettant d'évoquer la figure de Julia Child et l'écriture de son premier livre de cuisine, Julia se veut un biopic consacré à la création de son émission et au retentissement populaire qui suivit.
 

    Lancé dès 2019, le projet de série sur Julia Child est d'abord envisagé avec l'actrice Joan Cusack (inoubliable Debby dans Les valeurs de la famille Adams) dans le rôle titre. La production, handicapée par l'épidémie de Covid-19, est mise en pause puis reprend après la crise sanitaire avec une équipe en partie renouvelée, cette fois avec la Britannique Sarah Lancashire (célèbre pour son personnage de Catherine Cawood dans Happy Valley) dans le rôle principal. Daniel Goldfarb, le créateur, n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il a également participé à La fabuleuse Mme Maisel (The marvelous Mrs Maisel), autre série à tendance biographique racontant l'avènement du stand up féminin dans le New York des années 50. Les deux séries sont par ailleurs souvent comparées et l'on ressent effectivement au visionnage un ADN similaire.
 

    Au casting, on retrouve aussi David Hyde Pierce (Frasier) dans le rôle de Paul Child, Bebe Neuwirth (inoubliable tante Nora de Jumanji) interprète la charismatique Avis de Voto, et l'Irlandaise Fiona Glascott (Minerva McGonagall dans Les animaux fantastiques) se glisse dans la peau d'Edith Jones, éditrice du premier livre de recettes de Julia (également à l'origine de la publication du Journal d'Anne Franck !). Parmi les guest stars, on croise plusieurs fois l'excellente Judith Light (Madame est servie) dans le rôle de l'éditrice en chef Blanche Knof et Isabella Rossellini (la seule, l'unique) dans celui de Simone Beck, grande camarade française de Julia et co-autrice de son premier ouvrage culinaire.
 

    Cette première saison de 8 épisodes s'emploie donc à raconter la vie de la célèbre cuisinière après la publication de son livre : retournée vivre aux États-Unis après de nombreux déplacements dus à l'activité de son époux et d'elle-même dans les services de renseignement américains, Julia envisage de rédiger un second ouvrage et en échange régulièrement par téléphone avec son amie Simone Beck. Lorsque la télévision convie Julia à une émission de littérature pour présenter son livre, elle arrive sur le plateau avec réchaud, poêle et œufs pour concocter une omelette parfaite en un temps record. Conquise par la prestation pleine de naturel de l'invitée et par les nombreux retours de téléspectatrices, Alice Naman, unique femme productrice de la chaîne, propose de lancer une émission éducative avec Julia Child en vedette. Les deux femmes auront cependant à composer avec le manque d'enthousiasme de Russ Morash, producteur impliqué de force dans l'émission, mais aussi avec les difficultés de financement du programme. Fort heureusement, Julia n'est jamais à cours d'idée...
 

    Toute la difficulté d'adapter le réel en série télévisée et non pas seulement en un film de 90 minutes, c'est de réussir à structurer une vie ou une tranche de vie en plusieurs épisodes qui auront chacun leur propre construction dramatique. Jouant d'une délicieuse mise en abime, le découpage de la série se calque (avec plus ou moins de latitude) sur celui de la première saison de The French Chef. Dès lors, l'exercice de style s'amuse dans le fond et dans la forme : chaque épisode a pour titre le plat cuisiné dans l'émission du jour et même la musique du générique reprend celle du programme original. Les scénarii, bien ficelés, témoignent d'une belle fidélité aux faits réels tels que retranscrits dans les diverses biographies, moyennant quelques ajouts et libertés afin de donner lieu à suffisamment de rebondissements pour rythmer les intrigues. La vie ayant souvent plus d'imagination que la fiction, certains événements n'ont pas nécessité d'être romancés.

 
    A ce titre, l'invitation de Julia dans l'émission I've been reading et l'omelette improvisée en direct sont des faits avérés : c'est bel et bien cette première apparition (remarquée) sur les écrans qui conduisit au lancement du programme The French Chef. En revanche, si Russ Morash est présenté au tout début de la série comme un antagoniste qui se laisse progressivement convaincre, il est en réalité le producteur qui a eu l'idée de l'émission et qui a véritablement porté le projet. Le personnage d'Alice Naman, en revanche, est entièrement fictionnel : l'ajout de cette jeune femme noire a été justifié par les créateurs comme une évocation des réels employés afro-américains qui travaillaient pour la chaîne dans les années 60 et afin d'aborder en diagonal le racisme ambiant (pour autant, il nous semble que le sujet de la xénophobie est davantage survolé que véritablement traité).
 

    Dans la série, Julia joue le tout pour le tout pour que l'émission voit le jour, quitte à la financer de sa poche. On ne trouve pas d'information qui permette de vérifier cet élément, mais en revanche, elle gagnait en effet (au départ, tout du moins) très peu d'argent de son propre show, devait acheter de ses propres deniers les ingrédients nécessaires aux recettes et nettoyer elle-même le plateau de tournage. C'était d'ailleurs Paul Child qui s'en chargeait, une des nombreuses preuves que la complicité du couple et la présence du cercle intime de Julia sur le plateau sont tout à fait véridiques : comme dans la série, ses meilleures amies participaient souvent aux enregistrements (cachées sous le plan de travail, d'où elles apportaient à la star une aide non négligeable) et son époux l'assistait en amont à l'écriture de chaque émission. L'entreprise à la fois familiale et amicale dépeinte à l'écran est donc certainement très proche de ce qu'elle était réellement, à l'image de la spontanéité rafraîchissante de Julia devant la caméra (elle n'hésitait pas à s'adresser aux membres de l'équipe de production pourtant situés hors-champ en plein tournage) et de ses nombreuses (mais toujours hilarantes) maladresses.


    Au croisement de la grande histoire du petit écran et des petites histoires des personnages qui interagissent  autour de Julia, la série met en scène le monde émergent de la télévision publique et celui de l'édition, tous deux face à leurs propres enjeux. Les thématiques se croisent et s'entrelacent, servant d'appui à des arcs narratifs là encore au croisement du réel et du fictionnel : l'éditrice Edith Jones tiraillée entre son désir de soutenir Julia dans sa démarche et les exigences de la maison Knopf, ou encore la question de ce qui est et de ce qui fait culture à l'époque (culture populaire ou culture des élites). Portée par de fantastiques figures féminines (Julia en tête, bien sûr, mais aussi la charismatique Avis de Voto et leurs connaissances du milieu éditorial), la série aborde intelligemment le féminisme. En effet, en imaginant un dialogue entre l'héroïne et Betty Friedan, activiste qui avait réellement critiqué Julia Child dans ses publications (elle l'accusait, sous couvert d'un féminisme de surface, de renvoyer les femmes à la cuisine), les scénaristes apportent un rebondissement supplémentaire, mais viennent aussi interroger les différentes façons d'être femme dans une société aux veilles de la révolution sexuelle.
 

    Le casting, impeccable, fait tout le sel de cette série et Sarah Lancashire livre une prestation absolument formidable qui évite l'écueil de la caricature tout en faisant oublier (aussi impossible que cela puisse paraître) Meryl Streep. Le travail sur la voix (l'accent de Julia Child étant connu pour être aussi unique que spécifique) et sur la gestuelle est un vrai tour de force et elle rend son personnage parfaitement crédible. Avec Sarah Lancashire, on ne rit jamais de Julia : on rit avec Julia. Enfin, n'oublions pas de mentionner la reconstitution des années 1960 : costumes, décors, accessoires... l'époque est restituée avec beaucoup d'authenticité et la cuisine de Julia a même été reconstruite au millimètre près pour les besoins de la série !
 

En bref : Cette série relève le difficile défi de faire oublier Meryl Streep dans le rôle de Julia Child : après l'interprétation de la célèbre actrice américaine dans Julie & Julia, la Britannique Sarah Lancashire se glisse dans la peau de l'iconique cuisinière avec talent. Drôle sans jamais être ridicule, elle parvient à éviter la caricature et à restituer sa personnalité haute en couleur. La première saison de Julia est un plat réconfortant cuisiné aux petits oignons, à savourer sans modération. Et bon appétit ! 

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