jeudi 7 mars 2024

Les spectres de Draven School - Eric Senabre.

Editions Didier Jeunesse, 2024.

    C'est Noël, mais pas pour tout le monde. Vidya, Tommy, Christabel et Algie sont punis par le directeur de Draven School, leur sinistre pensionnat. Leur mission est des plus désagréables : ils doivent nettoyer le bâtiment de fond en comble en une nuit, au risque de rester entre les murs pour les fêtes. Mais catastrophe : ils vont libérer par erreur... six spectres malveillants ! Et comme chacun avait su faire trembler l'Angleterre à sa manière de son vivant, leur échapper sera désormais une question de vie ou de mort...
 
Un inquiétant pensionnat anglais, quatre élèves privés de sortie, six spectres effrayants. Comment se libérer de ce cauchemar en une nuit ?
 
***
 
    Depuis quelques années, nous suivons avec grand intérêt les publications d'Eric Senabre ; bien qu'ayant vu passer nombre de ses livres en librairie par le passé, ce n'est qu'avec A la recherche de Mrs Wynter que nous avons enfin eu l'occasion de le lire (un livre hommage à Chapeau melon et bottes de cuir, on était bien obligé d'y mettre le nez). Après cela, difficile de résister à l'appel de La Semeuse d'Effroi (roman clin d’œil à Fantômette autant qu'à Belphégor) puis de ne pas provoquer la rencontre, puisque nous avons également interviewé par deux fois (ICI et ICI) cet auteur débordant d'imagination. Alors quand la possibilité de découvrir en avant-première son tout nouveau livre s'est présentée, autant dire qu'on s'est jeté sur l'occasion...
 

"Nous vîmes Mrs Albrecht, notre professeur de latin et de grec, jaillir d'un couloir dont les tapisseries – des scènes de chasse qui avaient l'air d'avoir été tissées par un alcoolique en pleine crise de delirium tremens, avec des sangliers qui ressemblaient à des rhinocéros et des renards aux yeux fous – m'avaient mis profondément mal à l'aise (à tel point que je l'évitais régulièrement)."
 
    Angleterre, veille de Noël. A Draven School, ancien manoir transformé en pensionnat, presque tout le monde s'apprête à rentrer en famille pour les fêtes. Ne resteront dans les locaux que le couple de gardiens, le principal et une enseignante. Ah, et le quatuor infernal composé de Vidya, Tommy, Christabel et Algie : les quatre inséparables amis, tout juste sanctionnés par le chef d'établissement pour l'ensemble de leurs œuvres. Bons élèves, ils n'en sont en effet pas moins – de l'avis de l'équipe pédagogique – d'irrécupérables âmes damnées. La raison ? Leur sens de l'humour mordant, dont le directeur et les professeurs sont souvent les victimes. Condamnés à nettoyer l'école de fond en comble en une nuit, les quatre collégiens décident de s'offrir une petite escapade dans les quartiers des enseignants, histoire d'y fureter en douce. Et pour ces amateurs de sensations fortes, quoi de mieux que la chambre restée inoccupée de ce professeur brutalement décédé quelques années plus tôt, dont on raconte qu'il pratiquait la magie noire ? Tout aurait pu s'arrêter à quatre murs et à du mobilier à l'abandon, mais ce serait sans compter la curiosité de la petite bande, qui a tôt fait de trouver une pièce secrète et de libérer par inadvertance les spectres de six personnalités historiques britanniques bien décidées à semer le chaos et à abattre la frontière entre les vivants et les morts. Récurer le pensionnat n'était peut-être pas ce qui pouvait leur arriver de pire, finalement...
 

"— Thatcher... Vous savez, j'étais toute petite, mais le jour où elle est morte, mes parents ont ouvert une bouteille de champagne (...). Elle avait la réputation d'être sans pitié, et surtout d'avoir fait réprimer très violemment les mouvements de grève. Ceux des mineurs, notamment.
— Quoi ? Des ados, tu veux dire ? s'étonna Christabel.
— Non, des gens qui bossaient à la mine, quoi ! De charbon !"
 
    Après nos deux précédentes lectures de cet auteur, on était extrêmement curieux de le voir à l'oeuvre dans un registre fantastico-horrifique. La couverture (qui n'est pas sans évoquer les visuels promotionnels de Stranger Things) donne le ton : des ados, un manoir et des fantômes. En résumé : de réjouissantes perspectives. On tombe très vite sous le charme de la narration, assurée par Algie, l'un des protagonistes de l'histoire. Le second degré du personnage et le ton avec lequel il s'adresse au lecteur le rend immédiatement très attachant, d'autant que le jeune garçon laisse volontairement dans l'ombre une part de lui-même qui attise la curiosité. A travers lui, on fait connaissance avec le reste de la bande : les personnalités sont bien dessinées et on se surprend à se rêver membre de ce petit groupe aussi drôle qu'intelligent, dont la complémentarité se révélera bien sûr une force dans la suite de l'intrigue.
 

    Le décor du pensionnat aménagé dans un ancien manoir familial sujet aux rumeurs morbides et aux légendes urbaines n'est pas forcément une grande nouveauté dans le genre, mais l'auteur l'utilise à bon escient. Ici comme dans ces précédents romans, les archétypes sont davantage propices à rendre des hommages qu'à nous servir du réchauffé. Aussi, on pense ici et là à quelques livres ou films lus / vus par le passé : la bâtisse labyrinthique aux demi-étages et couloirs incurvés nous rappelle The Hauting of Hill House (Maison hantée) de Shirley Jackson et le manoir/internat pris d'assaut par des revenants n'est pas non plus sans évoquer Down a dark hall (Blackwood, le pensionnat de nulle-part) de Lois Duncan. D'autres références ? Les spectres de Draven School nous a également fait penser à nos lectures d'enfance, la collection des Chair de poule en tête, et à certains films horrifico-familiaux de Disney comme Hocus Pocus ou Fantôme pour rire, où les codes du récit d'horreur sont rejoués à hauteur d'adolescent.


"Derrière ces portes, cinq fantômes – et peut-être un sixième – sèment le chaos. On a vu une de nos amies accrochée à une branche, et elle a disparu depuis. Le spectre de Margareth Thatcher balance des choses sur nos vies à travers des bustes en marbre. Mais nous, on va faire de la lemon curd. Je me demande si ce n'est pas le pire, au fond."
 
    Les spectres de Draven School aurait ainsi pu n'être qu'un simple succédané de ces différents titres, mais voilà : si le synopsis et les clins d’œil laissent à penser à quelque chose de très classique, l'auteur dynamise le tout. A l'anglaise, bien entendu. On l'avait vu avec A la recherche de Mrs Wynter : Eric Senabre est un anglophile pur jus (on ne serait pas surpris, en vérité, qu'il ait du sang anglais ou quelques Britanniques dans les branches de son arbre généalogique). Aussi, ce livre emprunte à la Perfide Albion ce qu'elle a de mieux : ses histoires de fantôme et son humour (un peu de sa cuisine, également ; on vous laisse découvrir par vous-même). On frissonne autant qu'on rit, le roman alternant des passages franchement terrifiants avec des rebondissements aussi barrés qu'aurait pu les écrire Lewis Carroll himself. Les différents spectres qui s'invitent dans cette aventure sont également l'occasion pour l'auteur d'opérer un mélange des genres assez fun : musique, littérature, politique... tous les registres y passent dans une sorte de réjouissant bazar au cours duquel nos personnages se lancent dans une course aux artefacts pour renvoyer les spectres d'où ils viennent avant le lever du jour.


"C'est rigolo, quand même. Certains ont des poux à l'école. Nous, on a des spectres. Faut avouer que c'est original."
 
En bref : Une nouvelle pépite d'Eric Senabre ! Au programme de ce roman, vous trouverez des ados et un pensionnat, auxquels on ajoute ce que l'Angleterre a de mieux : ses histoires de fantômes et son humour ; le tout est copieusement arrosé de sauce worcester (et de lemon curd). L'auteur nous promène entre frissons et rires dans une chasse aux revenants aux côtés d'une bande de collégiens auxquels on s'attache très vite. On adore !


 
 
 Avec un grand merci à NetGalley et aux éditions Didier Jeunesse pour cette lecture !
 

1 commentaire:

  1. Je l'avais repéré mais la couverture m'avait un peu freinée. Je note alors ! :)

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