Quand j’ai découvert que j’étais la fille d’Arsène Lupin, je ne savais
même pas qui il était. Mais il m’a toujours ignoré et il ne croit pas en
moi. C’est mal me connaître ! Alors j’ai décidé de mettre mes talents
de comédienne à l’épreuve.
Il y a quelques années la jeune marquise d’Hyères a disparu avec ses parents dans un terrible accident en mer. Je lui ressemble beaucoup et je vais tenter de me faire passer pour elle, afin de récupérer son héritage. Elle habitait dans un somptueux hôtel particulier dans le Marais, c’est là que commence mon aventure…
Il y a quelques années la jeune marquise d’Hyères a disparu avec ses parents dans un terrible accident en mer. Je lui ressemble beaucoup et je vais tenter de me faire passer pour elle, afin de récupérer son héritage. Elle habitait dans un somptueux hôtel particulier dans le Marais, c’est là que commence mon aventure…
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Il y a deux ans, on avait partagé notre critique du premier tome de la série jeunesse Les Arsène, de Bertrand Puard : une variation autour du célèbre Gentleman Cambrioleur, à la fois suite et spin-off, qui imaginait le célèbre voleur désormais à la retraite recruter de jeunes pickpockets pour l'aider dans ses nouvelles aventures. Si l'idée n'était pas inintéressante, on avait reproché à l'intrigue son abondance de clins d’œil creux à l'oeuvre de Maurice Leblanc, au point d'enchaîner les incohérences et les clichés sans aucun intérêt. Il faut reconnaître qu'à une époque où l'on revisite sans cesse nos héros d'antan (Lupin et Holmes tenant le haut du palmarès), il devient difficile de se réinventer suffisamment pour qu'un nouveau titre du genre ne soit pas qu'un nom sur une couverture et dépasse le concept de franchise. Or, un an après la parution du livre de Bertrand Puard sortait le premier tome d'une toute nouvelle série lupinesque : Les secrets d'Evi Lupin, de Fabien Clavel. A la façon de Nancy Springer imaginant une sœur à Sherlock Holmes (Les enquêtes d'Enola Holmes), l'auteur français nous propose ici de faire connaissance avec la fille cachée du grand Lupin.

Élevée par sa vieille nourrice Victoire, la jeune Evi n'a pas toujours su qui était son père. Ce dernier ne s'est présenté à elle que bien plus tard : quelle ne fut alors pas la surprise de la fillette de découvrir que celui-ci était connu. Très connu. Son nom s'étalait partout à la Une des journaux : Arsène Lupin, le célèbre et insaisissable cambrioleur ! Loin de la légende du dandy racé à l'humour tranchant et au style impeccable, elle découvre un homme décevant, en particulier dans son rôle de père. Désireuse de s'en affranchir, la jeune fille décide un jour de faire mieux et plus fort que lui. Voler les riches ? Pourquoi pas ? Mais à la différence de son père, elle ne gardera pas l'argent pour elle : elle rendra justice aux plus faibles et le redistribuera aux nécessiteux ; elle fera de la cambriole un art digne. D'ailleurs, une occasion se présente quelques années plus tard : se faire passer pour la jeune marquise d'Hyères, disparue enfant dans un accident de bateau, afin de toucher son héritage. Après s'être minutieusement préparée pour interpréter son rôle, Evi se présente à l'hôtel particulier des Hyères, où elle ne sera pas forcément bien accueillie par ses occupants. Une grand-mère froide et distante, un majordome suspicieux, et une armée d'oncles et de tantes qui attendent tous qu'elle leur prouve son identité... ou qu'un faux pas la démasque. Comme s'il n'y avait pas suffisamment de tensions, voilà que le notaire de la famille s'en mêle et qu'on cherche par deux fois à la supprimer. Et si la disparition de la jeune marquise d'Hyères n'avait jamais été un accident, mais un assassinat destiné à l'évincer de l'héritage ? Evi devra mener l'enquête pour le découvrir...
Allons droit au but : on a largement préféré Evi Lupin aux Arsène. Si le pitch est tout aussi séduisant, il y a ici une vraie maîtrise de l'oeuvre de Maurice Leblanc, laquelle dépasse le clin d’œil facile et les tours de passe-passe vaguement lupinesques. Evi Lupin n'est d'ailleurs pas une invention de Fabien Clavel : elle est évoquée dans le canon d'origine, où elle apparait dans le titre 813 sous le nom de Geneviève (Evi étant ici présenté comme son surnom).
Non content de connaître l'oeuvre d'origine, l'auteur s'inscrit dans la lignée de Maurice Leblanc en jouant avec le fond et la forme. Le roman s'ouvre ainsi sur un avant-propos de Fabien Clavel himself racontant comment il est entré en possession des réels carnets intimes d'Evi Lupin et les a publiés. Cette entrée en matière évoque le rôle entre fiction et réalité que s'est parfois attribué Maurice Leblanc en se présentant comme l'agent littéraire du cambrioleur. Pour la structure, Fabien Clavel s'inspire des meilleurs opus du feuilleton original, celui-là même qui inventa et perfectionna l'art du twist final façon Ocean's Eleven avant l'heure. Tout semble perdu ? Ce n'est qu'illusion : tout était prévu d'avance.
Alors, cependant, jeune lectorat oblige, il y a parfois quelques approximations et raccourcis dommageables. La construction de l'intrigue, aussi, nous a parfois semblé quelque peu brouillonne, de même que l'histoire met un certain temps pour s'installer – cela étant, il faut bien poser à la fois les origines d'Evi, puis celles de la marquise d'Hyères avant d'entrer pleinement dans l'action, ce qui explique une exposition un peu longue. Mais il y a aussi une belle complexité dans la personnalité d'Evi : bien qu'animée de nobles intentions, ses actes ne sont pas toujours défendables et elle se confronte à l'éthique discutable de son entreprise. Parce qu'elle n'est pas infaillible, elle n'en est que plus attachante.
En bref : Une idée séduisante que faire de la fille d'Arsène Lupin l'héroïne de ses propres aventures. On y croise le Gentleman Cambrioleur, bien moins charmant que dans la légende, et on suit la jeune protagoniste sur les traces de son père — à ceci près qu'elle souhaite faire du vol des riches une bonne action. Bien évidemment, rien n'est aussi simple et Fabien Clavel n'hésite pas à creuser toute l'ambivalence de son personnage. Si la construction de l'intrigue nous semble encore un peu fragile, il y a là quelques codes chers à Maurice Leblanc, dont l'inattendu retournement de situation final, que personne ne verra venir. Rien que pour ça (et pour les douces illustrations de Daphné Collignon), on retrouvera avec plaisir Evi Lupin pour sa prochaine aventure.
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