mercredi 13 mai 2020

Notre château - Emmanuel Régniez.

Éditions Le Tripode, 2016 - Éditions Le Tripode, coll. Météores, 2017.

  Un frère et une sœur vivent reclus depuis des années dans leur maison familiale. Ils l’ont baptisée « Notre château ». Seule la visite hebdomadaire du frère à la librairie du centre-ville fait exception à leur isolement volontaire. Et c’est au cours de l’une de ces sorties rituelles qu’il aperçoit un jour, stupéfait, sa sœur dans un bus de la ligne 39. C’est inexplicable, il ne peut se l’expliquer. Le cocon protecteur dans lequel ils se sont enfermés depuis vingt ans commence à se fissurer.


  On pourrait penser au film Shining de Kubrick ou au roman La Maison des feuilles de Danielewski. En reprenant à son compte l’héritage de la littérature gothique, Emmanuel Régniez réussit un roman ciselé et singulier, qui comblera les amateurs d’étrange.

***

  Le synopsis et le titre évoquent évidemment furieusement Nous avons toujours vécu au château, de l'inégalable et glaçante Shirley Jackson, peut-être la dernière véritable représentante du gothique au siècle dernier. Chez Emmanuel Régniez, un frère et une sœur vivent reclus dans un manoir à l'écart du monde depuis la mort mystérieuse de leurs parents, lui ne s'autorisant qu'une sortie hebdomadaire en ville pour les achats de première nécessité (nourriture et livres), elle restant cloitrée dans la demeure. Tous deux peuplent leur quotidien de contes de fées et de fables étranges, jusqu'au jour où leur monde du dedans et le monde du dehors se heurtent brutalement, début d'une chute vertigineuse qui fera côtoyer au lecteur folie et frissons...


Nous avons toujours vécu au château, le classique de S.Jackson...


"De quoi a-t-on le plus peur? De ses fantômes ou de ses fantasmes? Je pourrais parler de mes ardeurs, qui sont différentes de celles de ma sœur. Elle qui désire ardemment lire tel ou tel livre. Et moi dont les ardeurs s'éteignent petit à petit. De quoi parle-t-on le plus facilement? De ses fantômes ou de ses fantasmes?"

  Des personnages agoraphobes, une ambiance de conte macabre, un quotidien rythmé par la pensée magique, la vraie-fausse candeur des protagonistes, coincés quelque part entre une enfance idéalisée et un âge adulte redouté, synonyme de l'image parentale qu'on souhaite, à l'évidence, reléguer aux oubliettes... La liste des similitudes entre le château d'Emmanuel Régniez et celui de Shirley Jackson est longue ; l'auteur français ne s'en cache pas : la romancière américaine est une de ses sources d'inspiration. Mais peut-être son ombre plane-t-elle trop sur Notre château, dont on se demande s'il parvient à exister par et pour lui-même. Pas sûr...

 Photographies issues de la collection du peintre Anglais T.Eakins, qui illustrent le roman d'E.Régniez.

  Comme souvent avec les œuvres qui se réclament un peu trop d'un certain mimétisme ou d'une lignée littéraire, tous les éléments qui ne seront pas outrageusement calqués sur l'original paraitront exagérément différents et laisseront un goût amer. Ils donnent l'impression que l'auteur se démarque soudain radicalement de son modèle pour prouver qu'il a son univers bien à lui, mais l'ensemble parait alors factice et manque de naturel, de fluidité. Chez Jackson, la folie des personnages s'insinue lentement, par petite gouttes de sueurs froides qui glissent le long du dos, sur la toile de fond d'une réalité à peine dissonante et dont les fausses notes apparaissent progressivement avant de nous happer totalement. Ici, l'écriture écholalique à l'excès choisie par l'auteur pour appuyer la bizarrerie du narrateur sonne faux d'emblée.


"Une maison qui contient beaucoup de livres est une maison ouverte au monde, est une maison qui laisse entrer le monde. Chaque livre qui entre est un fragment du monde extérieur et, tel un puzzle, quand nous posons ensuite le livre dans les rayons de Notre Bibliothèque, nous recomposons le monde, un monde à notre image, à notre pensée."

  Ceci dit, petit à petit, on pourrait admettre que l'histoire racontée par Emmanuel Régniez prend son autonomie. Elle emprunte même des chemins prometteurs mais tous sont tués dans l’œuf car l'auteur ne les exploite jamais entièrement. En fait, on reconnait dans ces éléments successifs l'influence d'autres grandes plumes du gothique qu'il évoque également en fin d'ouvrage : Edgar Poe, Henry James, Théophile Gautier, Lovecraft... Dès lors, on ne cerne que trop bien où le romancier est allé chercher l'idée d'un couple frère/sœurs aux relations incestuelles vivant dans une maison hantée, celle d'une demeure douée de vie propre, ou encore la sexualité latente et malsaine qui se mêle au monde faussement innocent d'une enfance de façade.


Parmi les références et inspirations évidentes : Shirley Jackson – encore – (Maison hantée),
Henry James (Le tour d'écrou) et Edgar Poe (La chute de la Maison Usher)

  Mais comme un soufflé qu'on sort trop vite du four et qui s'effondre, aucune des voies suggérées par ses illustres prédécesseurs, entre les mains d'Emmanuel Régniez, ne dépasse le stade du clin d’œil. Son livre reste, au final, un enchainement d'easter eggs parsemés au fil d'un texte cruellement linéaire alors qu'ils auraient pu servir à approfondir encore et encore tout ce qui reste à l'état de suggestion. Face à tant de potentiel inabouti, on comprend difficilement les critiques élogieuses des libraires et chroniqueurs ; Notre château était certes prometteur mais reste facile et approximatif.



"Il n'est pas dit que tous les êtres que nous rencontrons sont forcément vivants : il est même probable que nous serrons souvent la main à des morts."

En bref : Un roman court plein de potentiel mais elliptique et ampoulé à l'excès, qui ne parvient pas à aller au-delà des clins d’œil aux œuvres gothiques dont il se réclame. C'est bien dommage car il y avait vraiment un univers à exploiter : celui de l'auteur, qui reste encore trop caché derrière ceux de ses sources d'inspiration. 


Pour aller plus loin...


- Lisez plutôt Nous avons toujours vécu au château, de l'inégalable Shirley Jackson...


4 commentaires:

  1. Ce texte a tout pour me plaire... mais je ne sais pas trop si j'oserais m'y risquer ;-)

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    1. Il avait tout pour me plaire aussi, mais je trouve vraiment que l'auteur n'a pas réussi à dépasser les clins d'œil à la littérature gothique pour parvenir à écrire "son" histoire.

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  2. Pouchky Annette27 mai 2020 à 06:48

    J'ai dû aller voir la définition de "écholalique" sur le net... Sinon explique-moi s'il te plaît ce que sont les "Easter eggs" (bon je me doute que ce n'est pas du chocolat...)dans les livres ou dans les films. Merci à toi. Bisous.

    C'est Pouchky

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    1. Coucou Pouchky! Tu as réussi à te connecter avec ton compte cette fois? Les easter eggs sont les clins d'oeil et références dissimulées dans un texte ou dans un film. :) Ma connaissance du terme "écholalique" est une vraie deformation professionnelle, j'en ai bien peur (c'est par exemple ainsi qu'on nomme le discours de certaines personnes présentant des troubles autistiques, dont les echolalies peuvent être une particularité), mais c'était vraiment celui qui convenait pour décrire la narration de ce livre (dont le personnage principal présente certainement des troubles autistiques, un peu comme Merrycat Blackwood,
      d'ailleurs) ...;)

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