samedi 6 août 2022

Blackwater IV : La guerre - Michael McDowell.

Blackwater IV : The war
, Avon Books, 1983 - Editions Monsieur Toussaint Louverture (trad. de Y.Lacour avec H.Charrier), 2022.

    La guerre est finie, vive la guerre ! Une nouvelle ère s’ouvre pour le clan ­Caskey : les années d’acharnement d’Elinor vont enfin porter leurs fruits ; les ennemies d’hier sont sur le point de devenir les amies de demain ; et des changements surviennent là où personne ne les attendait. Le conflit en Europe a fait affluer du sang neuf jusqu’à Perdido, et désormais les hommes vont et viennent comme des marionnettes sur la propriété des Caskey, sans se douter que, peut-être, leur vie ne tient qu’à un fil.
 
    Au-delà des manipulations et des rebondissements, de l’amour et de la haine, Michael McDowell (1950-1999), ­co-créateur des mythiques Beetlejuice et L’Étrange Noël de Monsieur Jack, et auteur d’une trentaine de livres, réussit avec Blackwater à bâtir une saga en six romans aussi ­addictive qu’une série Netflix, baignée d’une atmosphère unique et fascinante digne de Stephen King.
    Découvrez le quatrième épisode de Blackwater, une saga matriarcale teintée de surnaturel avec un soupçon d’horreur.
 
*** 

    On ne se lasse décidément pas de cette saga qu'on lit presque en continu depuis sa parution, un peu à la façon d'un seul et même roman au déroulé long comme un fleuve – une analogie des plus appropriées, n'est-ce pas ? Après avoir affronté les terreurs secrètes qui enflent dans les fondations et les doubles-fonds de la maison d'Elinor, le troisième tome s'achevait sur un évènement sans précédent qui allait de nouveau bousculer le clan Caskey...
 

"Il s’accommodait d'une existence modeste et disciplinée, rythmée par sa famille et le travail. Il adorait les siens et tirait une immense fierté de son entreprise, mais parfois il regardait tout ça et se posait des questions. Et parfois, ses yeux s'arrêtaient sur son épouse, et il se demandait : "Qui est-elle ?" "

    Ce nouvel opus commence donc deux ans après le décès de la pourtant si solide Mary-Love, matriarche qu'on imaginait éternelle et indétrônable. En dépit d'un partage équitable de l'héritage, la question qui persiste est de savoir qui des femmes Caskey, plus que l'or, les diamants et les billets de banque, prendra sa place au sein de la famille. Elinor occupe rapidement l'espace vacant, sans pour autant modifier quoi que ce soit à son comportement : son charisme naturel suffit. Miriam, quant à elle, donne l'impression d'hériter du caractère et de la psychologie de la grand-mère qui l'a élevée, utilisant semble-t-il les mêmes astuces manipulatrices que son aïeule. Et pourtant, malgré toute l'audace et l'autonomie qu'on lui prête, la solitude finit par lui peser ; bon gré, mal gré, la froide Miriam met son orgueil de côté pour retourner dans le giron maternel. L'occasion de sa rapprocher de sa sœur cadette, Frances, et de constater à quel point toutes deux sont différentes, à plus d'un titre. Et au-delà des frontières de Perdido, pendant ce temps, la Seconde Guerre mondiale éclate, entraînant dans son sillon de nombreux morts et autant de deuils... mais participant aussi à relancer l'industrie des Caskey qui, contre toute attente, prospère...


"L'eau noire. C'est de là que tu viens. L'eau noire, c'est là que tu retourneras"

    Un tome particulièrement intéressant qui semble encore une fois nous rappeler ses fondements probablement autobiographiques, ou du moins plus réalistes que sa catégorisation en littérature d'horreur le laisse à penser. L'ancrage historique et les retentissements du conflit mondial – même si les retombées de ce dernier profitent plus à Perdido qu'elles sont sujettes au recueillement – de même que les interactions et la psychologie subtilement travaillée des personnages donnent une densité rare à ce nouveau tome d'une saga sobrement qualifiée de populaire à sa publication. 
 

"Sister et sa tête de mule de nièce formaient un ménage malheureux, sans cesse sur la défensive, épaules rentrées et mâchoire crispée sous le nuage bas de leurs secrets. Sister refusait d’admettre, y compris à sa Miriam, qu’elle n’aimait plus son mari, dont elle était même venue à redouter les rares et courtes visites. Miriam n’osait pas afficher ouvertement son hostilité envers sa mère, de peur de se faire écraser par l’habilité de celle-ci en matière de stratégie et son expérience poussée des conflits."

    L'intérêt de ce nouvel opus est de mettre en scène une toute nouvelle génération de Caskey, la troisième, qui entre dans la fleur de l'âge. Le décès de Mary-Love, fidèlement à la construction profondément systémique de l'intrigue, bouleverse les places de la sphère familiale et engendre de nouvelles interactions, parmi les plus inattendues. Le retour de Miriam et son tempérament plus apaisé qu'on aurait pu le croire, notamment, interrogent. Pour un peu, au vu de cette guerre qui profite tout particulièrement à la productivité de la scierie et aux comptes en banque de la famille (sans parler des jeunes soldats basés à Perdido : autant de futurs maris pour toutes ces jeunes filles, peut-être ?), on pourrait s'imaginer que les Caskey vont enfin couler des jours heureux.
 

"— C'est vrai que c'est un beau garçon ! s'exclama James. À leur place, je le garderais aussi.
— James, fit Sister, tu garderais n'importe quel enfant. Je suis surprise qu'on ne t'ait pas encore arrêté pour enlèvement."

    A moins qu'il s'agisse là du calme avant la tempête ? Insidieusement, les rouages du destin se mettent en branle et confirment dans leur accomplissement ce que tout arbre familial donne à voir : des réminiscences, des résurgences et des répétitions. Certaines catastrophes, certains traumatismes, reviennent comme des malédictions et certains enfants, par l'apparition de particularités aussi uniques qu'effrayantes, se révèlent les dignes héritiers de leurs parents. Alors que l'auteur aborde davantage de front la nature d'Elinor (sans pour autant être particulièrement explicite), il continue de distiller les éléments et événements qui, par leur incongruité comme par leur soudaine horreur, nous font l'effet d'une goutte de sueur glacée nous dégoulinant le long du dos. Passé maître dans l'art du cliffhanger dont il adore abuser à la fin de chaque tome, McDowell clôture ce quatrième opus sur une nouvelle scène magistrale qui nous saisit autant que l'apparition d'un spectre. On en redemande !


"— Je n'ai jamais compris comment les enfants arrivaient à se remettre de leurs parents, soupira Sister."

En bref : En arrière-plan d'une guerre qui ne semble pas impacter le petit microcosme de Perdido comme on l'attendrait d'un conflit international, McDowell endort notre vigilance de lecteur en nous servant ici un tableau presque idyllique du clan Caskey... probablement pour mieux nous surprendre. Car en mettant en scène la troisième génération de cette famille on ne peut plus étrange, l'auteur donne à voir des répétitions et des événements dont la chronicité n'est pas sans laisser un certain malaise. On a hâte de voir jusqu'où nous conduiront les rouages de cette machine infernale...

Et pour aller plus loin...

- Découvrez toute la série : tome 1 ICI, tome 2 ICI, le tome 3 ICI et les autres à venir...
 

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