jeudi 6 mars 2014

Belle - Robin McKinley

Beauty, Harper Collins, 1978 - Pocket, 1992 - Editions Mnémos (collection "dédales"), 2011.

  Belle était loin d'être aussi jolie que ses soeurs. À quoi bon ? Aux soirées mondaines, aux robes somptueuses, elle préférait les chevaux et les auteurs anciens. Quand son père se trouva ruiné, elle en fut réduite à aller avec sa famille habiter une pauvre maison, dans un village au fond des bois. Tous auraient pu vivre ainsi, heureux d'une existence loin du luxe et des lumières de la ville, mais le destin s'acharna une fois encore sur eux. Quand son père revint au foyer avec l'histoire d'un château magique et de la terrible promesse qu'il avait dû faire à la Bête qui y vivait, Belle partit de son plein gré affronter le monstre et sa question sans cesse répétée : " Belle, voulez-vous...? ". Ceci est son histoire...une histoire d'amour et de rêve.

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  Poursuivons notre avancée dans la sélection autour de La Belle et La Bête : Après un détour par les deux textes classiques du conte, voici une relecture de l'histoire sous forme de roman. Publiée pour la première fois en 1992 dans la collection "SF" des éditions pocket sous une couverture à l'atmosphère mensongère, cette réécriture a bénéficié en 2011 d'une rééditions chez Mnémos, qui offrait par là une seconde chance à un ouvrage culte Outre-Atlantique. La nouvelle jaquette rend ses lettres de noblesse au contenu du livre : le buste d'une femme au visage que l'on devine gracieux, la silhouette comme retenue dans les serres d'une créature qui se tient derrière elle... notre imagination fait d'emblée connexion entre le titre évocateur et l'image suggestive...Pas de doute possible, nous sommes là dans l'univers du conte de La belle et la bête.

 Couvertures de plusieurs éditions originales successives (1978, 1993 et 2005).

L'horrible (et mensongère) couverture de la première édition française.

  Célèbre pour ses ouvrages de fantasy et ses relectures de mythes anciens, Robin McKinley suit ici la consigne même de la réécriture. On redécouvre donc le conte de Madame Leprince de Beaumont mais amplifié sous la forme du roman avec toutes les caractéristiques qui lui sont propres : multiples chapitres, densité, narration détaillées, descriptions travaillées, dialogues, ressentis des personnages et verbalisation des émotions. Sous ce format stylistique plus travaillé, raconté par Belle elle-même, nous apprenons son véritable prénom (Honneur, patronyme qu'elle déteste mais qui lui correspond si bien!), découvrons sa relation à ses soeurs et, surtout, sa transition vers l'âge adulte au-travers de son aventure.

Drew Barrymore posant pour A.Leibovitz, photoshoot sur le thème de la Belle et la Bête pour le magasine Vogue, 2005.

  Car c'est principalement ce qui ressort de l’œuvre de Robin McKinley. En étalant son récit (et donc la courte histoire racontée dans le conte original) sur plusieurs années, on voit Belle -tout d'abord âgée de 16 ans- esprit libre et adolescente décidée, gagner en maturité au fil des expériences de la vie : le désastre financier de son père et sa nouvelle vie modeste à la campagne, le marché passé avec la Bête et son emménagement dans son palais, etc. Figure féminine forte et charismatique, cette héroïne vertueuse et fine d'esprit donne à voir sa métamorphose de l'enfant vers la femme, changement qui prend réellement corps dans le texte une fois qu'elle réside auprès de la Bête. A ses côtés, elle devient plus sensible au charme et à la magie du domaine (imperceptibles aux autres) et, par extention, à voir au-delà des apparences.

 Photographie d'A.Leibovitz, 2005.

  Cependant, au-delà de ce splendide portrait de femme, je dois avouer une légère déception dans le traitement de l'histoire. Véritable best-seller en Amérique, j'attendais de ce livre une lecture digne de figurer au titre des théières d'or et coups de cœur de ce blog. Au final, si l'exercice de style opéré est réussi, Robin MacKinley sort peu des sentiers battus et fait preuve de peu d'audace dans sa réappropriation de l'histoire. Certes, les personnages sont davantage développés et donc plus étoffés, de même que la structure propre au roman leur confère plus de charisme et nous permet de nous identifier à eux. Mais pour autant, la trame reste trop collée au conte initiale et offre peu de surprises... 

Photographie d'A.Leibovitz, 2005.
 
  Car McKinley prend finalement peu de risques dans le développement de son intrigue au-delà de la trame proposée par Madame L.de Beaumont. On suit l'histoire en attendant toujours un peu plus le retournement original ou l'effet de surprise... en vain. Dommage, car le reste de l'ouvrage est tout à fait honorable, le style est impeccable (et la traduction, de qualité); si l'on regrette l'absence de détails quant à l'apparence exacte de la Bête, les nombreuses descriptions de son domaine sont particulièrement bien écrites : toute sa propriété semble être coupée du temps et de l'espace environnant, comme protégé dans une bulle soumise à un micro-climat que seule la Bête peut contrôler à loisir. La connexion presque psychique qui s'établit entre les deux protagonistes, l'une des seules originalités de cette relecture, est très touchante et constitue l'un des points forts de l'oeuvre de McKinley. En revanche, s'il ne fallait retenir qu'un seul point négatif, ET QUEL POINT (désolé, je suis particulièrement attaché à ce détail du conte en particulier, en tout cas trop pour passer outre ^_^' ), c'est d'avoir supprimer... le miroir magique! Cet élément pourtant inhérent et symbolique du conte ne semble pas avoir remporté l'adhésion de l'auteure, qui remplace ses reflets révélateurs par des rêves prémonitoires de son héroïne. Dommage. Il en reste tout de même un bon moment de lecture, que je n'ai pu m'empêcher de nourrir et d'habiller des superbes photographies réalisées par l'artiste Annie Leibovitz pour le magasine Vogue en 2005, mettant en vedette Drew Barrymore dans le rôle de Belle, comme tout droit sortie d'une gravure de Walter Crane...


Photographie d'A.Leibovitz, 2005.

  En bref: Une réécriture réussie du conte d'un point de vue stylistique et pour le splendide portrait de femme qu'elle soumet au lecteur, mais qui manque malheureusement d'audace et pèche par trop de classicisme. Cependant, ce roman reste comme je le disais excellemment bien rédigé et le livre de McKinley vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour avoir proposer, 20 ans avant Disney, une version du conte qui ait autant marqué le public.

Et pour aller plus loin...

-Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez peut-être...
 - Belle, a retelling of the Beauty and the Beast, de Cameron Dokey. Ce roman extrait de la collection young adult "Once upon a time series", qui propose des relectures de contes de fées classiques, a souvent été comparé au roman de McKinley mais s'avère être une excellente surprise.
 

2 commentaires:

  1. Je suis allée voir le film avec Vincent Cassel et Léa Seydoux vendredi dernier et j'ai justement repensé à ce roman qui dort dans ma PAL depuis un bout de temps. Ca m'a donné bien envie de m'y plonger enfin et toi aussi, tu me donnes envie de découvrir enfin ce texte. C'est vrai que la couverture de la première édition française est hideuse et laisse présager un univers bien différent. Bizarre...

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    1. Il est vraiment très bien écrit, même s'il ne m'a pas autant surpris que la réécriture de Cameron Dokey. Là on, sent tout de même une qualité littéraire évidente et rien que pour la syntaxe et l'excellent travail de traduction ça vaut le détour aussi! =)

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