dimanche 11 août 2019

Vita & Virginia - un film de Chanya Button d'après la pièce d'Eileen Atkins.


Vita & Virginia 


Un film de Chanya Button 
d'après la pièce de théâtre d'Eileen Atkins et la correspondance de Vita S.West et Virginia Woolf.

Avec : Elizabeth Debicki, Gemma Aterton, Isabella Rossellini, Rupert Penry-Jones...

Sortie en France : 10 juillet 2019.

  Virginia Woolf et Vita Sackville-West se rencontrent en 1922. La première est une femme de lettres révolutionnaire, la deuxième une aristocrate mondaine. Quand leurs chemins se croisent, l'irrésistible Vita jette son dévolu sur la brillante et fragile Virginia. Commence une relation passionnelle qui fait fi des conventions sociales et de leurs mariages respectifs. La fascination que Virginia ressent pour Vita, l'abîme entre sa vie d’artiste et le faste de l'excentrique aristocrate donneront naissance à Orlando, une de ses œuvres maîtresses, bouleversante réflexion sur le genre et sur l’art

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  Au départ de ce film, il y a une pièce de théâtre écrite et jouée par la grande actrice anglaise Dame Eileen Atins au début des années 90, d'après la correspondance de Vita Sackville-West et Virginia Woolf. Le projet de transposer la pièce pour le grand écran est né en 2014 avec, à sa tête, la réalisatrice néerlandaise Sacha Polak. Les rôles titre devaient alors revenir à Romola Garai (Marin dans Miniaturiste) pour camper Vita, et Eva Green pour interpréter Virginia. Quatre ans plus tard, l'équipe a été intégralement revue, principalement pour faute de disponibilité des principales intéressées : c'est désormais la jeune réalisatrice britannique Chanya Button qui dirige le film, et les rôles sont confié à Gemma Aterton (chaudement recommandée par Eileen Atkins) et Elizabeth Debicki. Chanya Button, qui a écrit son mémoire de fin d'études sur Virgnia Woolf, co-écrit d'ailleurs un nouveau scénario avec Eileen Atkins d'après la pièce de cette dernière et en ajoutant sa propre vision des personnages.

Vanessa Redgrave (Vita S.West) et Eileen Atkins (Virginia Woolf)
dans la pièce de théâtre Vita & Virginia.

  Après The hours (2002), Vita & Virginia propose une interprétation moins sombre que l'avait faite Nicole Kidman de la personne de Virginia Woolf (et aussi moins maquillée, Elizabeth Debicki ne portant quant à elle pas de prothèse nasale pour incarner le rôle de la célèbre auteure). Fort du talent de ses actrices, ce film semble ne pas chercher à tabler sur une ressemblance physique au trait pour trait, mais sur l'intensité de l'interprétation. Gracile et évanescente, Elizabeth Debicki témoigne d'un jeu tout en nuances, pertinente aussi bien dans la posture stoïque de l'intellectuelle qui observe et analyse que dans les moments de fragilité de Virginia Woolf. Gemma Aterton campe une Vita à l'opposé de Virginia : exubérante et fantasque, très démonstrative, parfois trop féminine aussi, probablement plus que ne l'était la véritable Vita (rappelons que c'est son côté androgyne qui inspira  l'hermaphrodisme du personnage d'Orlando). Or, ici, Gemma Aterton n'a de masculin que la nature émancipée de son personnage et ses pantalons. Ceci dit, elle parvient à donner à son interprétation le souffle punk qui permet de mettre en relief le caractère profondément avant-gardiste du personnage.


  Cependant, tout grand admirateur de Virginia Woolf et du cercle de Bloomsbury (nom donné au groupe d'intellectuels dont faisaient partie la romancière ainsi que certains membres de sa famille) ne pourra que tiquer face à l'âge des actrices : outrageusement jeunes, elles ont bien vingt ans de moins que les deux femmes au moment des faits! Une erreur (ou un choix délibéré?) qui, ajoutée au physique des interprètes (bien loin des physionomies très ordinaires des vraies Vita et Virginia), jette sur les faits et personnages réels cet habituel voile toujours trop lisse et typiquement hollywoodien afin de rendre le tout plus esthétique à l'écran. Si l'on parvient à faire abstraction de cet élément pour apprécier le film, il questionne malgré tout...


  Pour autant, la réalisation ne manque pas d'intérêt : la reconstitution est soignée mais reste sobre pour rendre le propos actuel et ainsi tisser un lien pertinent avec ces deux figures en décalage avec leur époque. Afin d'insister sur cette modernité, la compositrice Isobel Waller Bridge a imaginé une bande originale surprenante aux sonorités électros, presque futuristes, qui parvient à elle seule à casser le ton trop académique dans lequel risquait de chuter le film. Cette musique apporte aussi la part de passion qui manque au jeu des actrices pour rendre crédible l'histoire d'amour de Vita et Virginia grâce à ses mélodies enfiévrées.
 

 On regrette aussi que, faute de s'affirmer dans certains choix scéniques, la réalisation survole certaines pistes esthétiques ou scénaristiques mais sans les creuser. Il en va ainsi de l'audacieuse idée d'illustrée l'imagination fertile de Virginia sous la forme d'apparitions hallucinatoires et métaphoriques de plantes en pleine floraison. Il y avait là un filon onirique à creuser pour donner un ton unique, une marque de fabrique, au film, mais c'est à peine si cela survient une ou deux fois.


  Les dialogues, directement inspirés de la correspondance des deux femmes, sont particulièrement fignolés. Trop peut-être? Car même en partant du principe qu'on ne parlait pas à cette époque comme on parle aujourd'hui, on sent dans l'affectation des répliques qu'elles sont alimentées de portions de missives destinées à être lues, et non déclamées. Un autre bémol : les scènes de rédactions du courrier des deux écrivaines. Mises en scène sous forme de gros plans flous sur le visage des actrices pendant qu'elles lisent leur correspondance, elles cassent le caractère immersif du film de prises de vue dignes d'une docu-fiction au rabais.



  Malgré ses quelques inégalités, le film parvient à relever le difficile défi de faire à la fois un biopic tout en racontant la genèse d'une œuvre littéraire. On pensera au film Mary Shelley sorti l'an dernier et qui, quoi que très critiqué, avait tenu le même pari en se penchant lui aussi sur le parcours d'une femme de lettres profondément en marge de son temps et de sa société. En ouvrant une fenêtre sur les années communes de Vita S.West et de Virginia Woolf, Chanya Button réussit par ailleurs à éveiller une curiosité auprès des spectateurs qui n'ont pas encore lu Orlando, et qui se laisseront probablement tenter une fois les lumières de la salle rallumées...



En bref: Vita & Virginia reste, malgré certains défauts, un film intéressant sur la relation de ces deux femmes de lettres anglaises. Si on peut lui reprocher ses inégalités, ce biopic réussit à toucher le spectateur grâce à l'interprétation de ses actrices – en particulier Elizabeth Debicki – et à l'accent moderne de la réalisation (avec une mention spéciale pour la bande originale, à écouter encore et encore) qui traduit avec pertinence le tempérament d'avant-garde de ces deux femmes.

2 commentaires:

  1. Le rajeunissement des protagonistes est décidément une plaie dans le cinéma (dans la vie en général?) ! Plus je vieillis moi-même, plus je trouve difficile de croire des acteurs trop jeunes, malgré leur talent, quand ils se retrouvent dans des situations émotionnelles plus matures.
    Le "biopic" Life in squares de la BBC 2 a le mérite de prendre quatre actrices différentes pour jouer Virginia et Vanessa jeunes puis mûres. J'aime beaucoup la qualité de l'ambiance et la photo un peu brumeuse.En revanche, si on veut en savoir un peu plus sur Virginia Woolf, ce n'est pas la bonne série car celle-ci se concentre sur Vanessa Bell. On apercevra à peine Vita 5 secondes à l'écran!

    Et oui, c'est moi Pouchky!

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    1. Ah oui, je voulais voir "Life in Squares"! Je sais aussi une minisérie plus ancienne, "portrait of a marriage", qui se penche sur la vie congugale de Vita Sackville West, ça te dit quelque chose?

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