dimanche 6 octobre 2024

A Burtonian Halloween is coming...


 
C’était durant l’automne, dans la ville de Halloween, la Lune frissonnait,
Et là-haut, solitaire, assis sur la colline, un squelette ruminait,
Portant chauve-souris pour tout nœud papillon,
C’était Jack Skellington, un mince et grand garçon.
«Jeter le mauvais sort horriblement m’ennuie.
Mes pieds sont las des danses de mort dans la nuit.»
Mais alors, se tordant en volutes spectrales,
Émergea d’un caveau un fantôme de chien.
Sa citrouille de nez brillait au loin
Et il salua Jack d’un faible et tendre râle.
Une folle excitation égaya son visage :
Il s’avançait ici, il s’élançait par là.
Et toujours découvrant de nouveaux paysages,
Il vit enfin un arbre qui l’emplit de joie.
Baigné par sa lumière, Jack - en paix à présent-
Découvrait un émoi attendu si longtemps
Rentré à Halloween, il montra à ses pairs
Son lot de souvenirs qui les laissa par terre.
Car à toutes ces merveilles nul n’était préparé.
La plupart se réjouirent ... Certains furent apeurés !
Père Noël, occupé à faire ses joujoux,
Entendit à sa porte un léger bruit, très doux.
Il entrouvrit son huis et tressaillit de voir
Trois vilains petits masques souriant dans le noir.
En ce soir de Noël, toute la maisonnée
Allait faire la fête, y compris les souris !
Les sabots, bien rangés devant la cheminée,
A l’aube causeraient de grands, d’horribles cris.
Mais pour l’heure, nichés au cœur de leur doux nid,
Les petits ne rêvaient ni monstres ni harpies.
Ivre de joie sincère, de maison en maison,
Jack offrait ses cadeaux, à tous faisait un don.
Une plante carnivore déguisée en guirlande,
Un ourson en peluche
Pourvu de dents gourmandes ...
Il plana dans les cieux, tel une fusée agile
Avant d’être frappé tout net par un missile.
«J’ai cru si fort pouvoir jouer au Père Noël».
 
The Nightmare before Christmas, Tim Burton, 1982.
 
     Qui sait (ou se souvient) que L'étrange Noël de Monsieur Jack était à la base un poème ? On oublie souvent l'ancrage littéraire du génie de Tim Burton qui, en même temps qu'il esquissait des monstres dans ses carnets, emplissait leur pages de poésies et d'historiettes aussi macabres que drôlatiques. Burton et la littérature : une grande histoire d'amour ? D'Edgard A. Poe aux chairs couturées d'une créature de Frankenstein en passant par les œuvres d'Edward Gorey, sans oublier ses nombreux films adaptés de livres, ses inspirations semblent le prouver. Même Bettlejuice, son premier grand succès, était écrit par un romancier aujourd'hui enfin reconnu à sa juste valeur dans l'Hexagone, l'illustre inconnu Michael McDowell.
 

    Alors un Halloween livresque consacré à Tim Burton, ça a évidemment tout son sens ; d'autant plus lorsque Bettlejuice Bettlejuice vient de sortir sur les écrans – on n'aurait pu rêver meilleur appel du pied à colorer nos festivités automnales de teintes burtoniennes ! Pour l'occasion, il y aura des excursions dans les œuvres qu'il l'ont inspiré aussi bien que dans des univers proches du sien (car souvent copié, Tim Burton est parfois... largement égalé – eh oui !).  Promenades à Sleepy Hollow, retour à Collinwood, (re)découverte de Winter River... de nombreux arrêts sont prévus au programme de notre voyage, y compris quelques (plusieurs?) lectures hors-série, tombées récemment dans notre PAL et qu'il ne serait pas envisageable de repousser à l'Halloween prochain.


    Par ailleurs, comme on vous l'a récemment annoncé dans notre dernier article de blabla saisonnier, ce mois-ci et le prochain seront ceux des cartons et du grand déménagement ! Cet Halloween sera donc malheureusement quelque peu chahuté, voire certainement tronqué – et pour cause, on signe chez le notaire le... 31 octobre ! Si ça ce n'est pas un signe... Espérons que le futur Terrier soit hanté !
 

    Quoi qu'il en soit, jamais on ne manquerait, même si ce n'est pour partager que quelques lectures, le célèbre et renommé Challenge Halloween de Lou & Hilde, comparses dans la Mort et l'Au-delà, adorables et terrifiantes hôtesses, mystérieuses et glorieuses organisatrices depuis 15 (déjà) macabres années...

Alors, comme dirait Bettlejuice, on envoie la sauce !


mardi 1 octobre 2024

Silent Boy - Gaël Aymon.

Éditions Nathan, collection "Court Toujours", 2020.
 
 
 
 
    Silent boy… Celui qui la ramène pas mais qu’il faut pas chercher. Qu’est-ce que j’ai d’autre comme choix ? Tu t’intègres ou t’es mort. 

    Anton est interne dans un lycée difficile. Sa seule bouffée d’oxygène: ses discussions sur un forum en ligne, caché derrière l’avatar de Silent boy. Car dans la vraie vie, Anton ne donne jamais son avis, ne prend jamais parti. Jusqu’à sa rencontre avec Nathan…
 
 
***
 
 
 
    Voilà un moment déjà qu'on avait repéré les romans de Gaël Aymon, sans jamais avoir eu l'occasion de les lire. Voilà également un certain temps qu'on avait repéré la collection "court toujours" des éditions Nathan, sans qu'on ait eu le temps d'y jeter plus qu'un œil. Une récente excursion au Salon du Livre sur la Place nous a permis de réparer ces deux manquements afin de découvrir la plume du premier et la ligne éditoriale de la seconde. On ne regrette pas !
 
"On est tous des moutons. On essaie de ressembler aux autres. On cache ce qu'on a d'intime pour pas se le faire salir, pour pas avoir l'air trop différent. On attend d'être à plus tard, quand quelqu'un sera capable d'entendre nos secrets. Quand la vraie vie aura commencé, loin du lycée"
 
    Anton, le narrateur, est scolarisé au sein d'un lycée situé dans un quartier difficile. S'il semble s'y être fait une place "confortable" aux côtés des plus forts, l'adolescent ne parait pas s'en satisfaire totalement. Tout ça, c'est une histoire de survie, et même s'il n'est pas forcément d'accord avec les prises de position de sa bande, il se garde bien de le leur dire et, surtout, de leur montrer. Pour passer entre les gouttes et se garantir la tranquillité, Anton a appris à ne jamais prendre position et à rester dans cet entre-deux un peu flou, cette zone grise qui l'empêche de se mouiller, de prendre des risques, mais aussi de se faire passer pour ce qu'il n'est pas. Mais la nuit, sur le net, Anton rejoint un forum où de nombreux autres adolescents s'épanchent et se confient. Après être longtemps resté en retrait, Anton, sous le pseudonyme de Silent Boy, entame la conversation. Les échanges avec une autre membre du forum l'invitent peu à peu à sortir de sa coquille et à s'interroger sur qui il a réellement envie d'être. Aussi, lorsqu'un lycéen continuellement malmené par ses camarades est changé de dortoir pour partager sa chambre avec Anton, Silent Boy réalise qu'il ne peut plus se murer dans le silence. Car qui ne dit mot consent.
 
Gaël Aymon, l'auteur.
 
    Si écrire pour la jeunesse est difficile, écrire sur la jeunesse l'est encore plus. Ses codes, ses références, sa culture, son langage ; autant d'éléments qui, fugaces et changeants, risquent de figer dans le temps une scène ou des personnages une fois les mots couchés sur le papier. L'adolescence d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier, et encore moins celle d'avant-hier. Pas plus qu'elle n'est celle de demain. C'est pourquoi il est si difficile d'écrire un récit sur l'adolescence qui survive à l'épreuve du temps, qui reste à la fois actuel et suffisamment intemporel pour convaincre de jeunes lecteur à moyen et long terme.

"L'anonymat fait tomber les barrières. On plonge dans les pensées les plus intimes. Alors, peut-être que les membres se protègent derrière un pseudo et un avatar, mais c'est pas comme s'ils se cachaient. C'est des masques qui leur permettent d'être plus sincères."

    A cet exercice, Gaël Aymon semble plutôt bien s'en tirer. Probablement a-t-il conservé lui-même une part de cette adolescence. Alors, certes, il est possible que le vocabulaire passe, que l’argot employé se démode d'ici quelques années (d'ailleurs, le texte ne date que de 2020, et cela se ressent à travers l'utilisation de certains termes et de certaines tournures de phrases que la génération alpha a certainement déjà relégués aux oubliettes), mais les thématiques et les personnages sont suffisamment forts pour s'affranchir d'une époque et émouvoir le lecteur au-delà d'un cadre spatio-temporel précis.
 
 La forme au service du fond :
les conversations du forum retranscrites plus vraies que nature.

    D'ailleurs, comme un pied de nez à ces médias qui évoluent si rapidement, Gaël Aymon choisit de faire se confier Anton par l'intermédiaire d'un forum, soit un support probablement à l'état de mort imminente face à ces blockbusters que sont TikTok et consorts. Ce choix est revendiqué par l'auteur comme par son personnage, qui apprécie son côté désuet ; "un groupe de résistants à la dictature de l'image", dit-il. Véritable parti pris du protagoniste qui balaye donc tout risque d'anachronisme, ce forum en dit en même temps beaucoup de sa véritable personnalité et l'étoffe rapidement d'une belle profondeur.
 
"Mon pseudo annonce la couleur : "SilentBoy", le garçon silencieux. Pour moi, ça veut aussi dire le mec qui se tait, qui reste discret. Même muet, ce personnage est plus proche de mon véritable "moi" qu'Anton Gallot ou Pilo."

    Les thématiques, actuelles, tournent autour de la question du genre, sujet intemporel s'il en est. L'originalité du propos se situe dans l'angle choisi par l'auteur qui ne s'arrête pas à la question des violences sexistes, mais qui en profite pour aborder ce que la société masculiniste impose aux jeunes garçons de formatage pour mieux se fondre dans le groupe, correspondre aux codes. Rares sont les romans qui choisissent cette approche et parviennent à la défendre aussi pertinemment, surtout dans un texte au format court. Lorsqu'on referme la dernière page, on en voudrait encore, mais on réalise que le charme de Silent Boy tient aussi à sa concision. Alors, en guise de consolation, on écoute la version audio gratuite, accessible par QR code à l'intérieur du livre, narrée par l'auteur.
 

En bref : Un auteur et une collection qui valent tous les deux le détour. Gaël Aymon parvient à restituer l'adolescence dans ce qu'elle a de plus complexe, ambivalent et touchant à la fois, en confrontant son personnage principal à la difficulté de vivre notre époque et de s'y trouver une place qui soit sienne. Le propos est fort, mais jamais normatif, sujet à faire naître des réflexions chez le jeune lecteur ; soit le texte parfait pour cette collection consacrée aux préoccupations adolescentes.