dimanche 1 juillet 2012

Hantée, tome 1: Les Ombres de la Ville - Maureen Johnson.

 Shades of London, Book 1: The Name of the Star, Putnam Juvenile, 2011 - Éditions Michel Lafon, 2012.


À Londres, un assassin hante les rues, réveillant la légende de Jack l’Éventreur. Malgré l'omniprésence des caméras, le tueur est indétectable et les dates anniversaires des meurtres originaux sont marquées des découvertes de nouveaux corps. Le modus operandi du meurtrier est similaire et les victimes portent les mêmes noms que les prostituées sauvagement massacrées plus d'un siècle auparavant. 
Aurora "Rory" Deveaux, jeune native de la Louisiane arrivée depuis peu sur le campus, se rend compte qu’elle est la seule capable de voir l'assassin pourtant invisible aux yeux du plus grand nombre. Accompagnée d’un groupe de mystérieux individus eux aussi en mesure d'apercevoir le tueur, elle plonge au plus profond des brumes de la cité pour l'arrêter. À moins que son don ne fasse d’elle la prochaine victime… 

...Entrez dans le monde de l’invisible... 

***

  Fasciné depuis toujours par le mythe de Jack l’Éventreur et le Londres victorien et son atmosphère sombre et brumeuse, on a été attiré par ce roman dès que sa parution a été annoncée. Notre curiosité piquée par la très jolie couverture (un fog épais, les contours flous de bâtisses géorgiennes émergeant de la grisaille, une jeune femme à la beauté fragile et évanescente, et de délicieuses enluminures... autant dire que c'était prometteur) et par le synopsis, on s'est très vite laissé tenter et ce malgré les critiques parfois mitigées lues sur le net.

 Photographie originale de Rebecca Parker pour la couverture du roman.

    Aurora (mais appelons-là Rory, puisqu'elle insiste) débarque de sa Louisiane natale pour suivre ses études dans le pensionnat de Wexford, lycée situé à Londres, en plein cœur de Whitechapel. Or, ce quartier n'est pas des plus fréquentables en cette période de rentrée scolaire puisqu'il est le terrain de jeu d'un copycat, un tueur en série s'évertuant à copier les meurtres perpétués par Jack l’Éventreur à l'Automne 1888. L'affaire fait les choux gras de la presse et fascine autant qu'elle affole la population et les touristes, d'autant plus que les vidéos de surveillance ne dévoilent pas le visage de l'assassin... ni même son corps, son ombre ou ne serait-ce qu'une vague silhouette. En effet, les bandes des caméras montrent les victimes sauvagement attaquées par une force... invisible ! Aurora, pour sa part, suit ces nouvelles d'une oreille relativement distraite : peinant à s'adapter aux mœurs britanniques, elle essaye surtout de prendre le rythme de sa nouvelle vie malgré un choc des cultures des plus déstabilisants. Heureusement, elle se lie rapidement d'amitié avec Jazza, sa camarade de chambre, et Jerôme, au charme duquel elle n'est pas insensible. Ce dernier, d'ailleurs, est fasciné par les meurtres du Nouvel Éventreur et entraîne ses deux amies à la chasse aux scoops sur le criminel. Mais ce qui n'est au départ qu'une petite distraction sans conséquence devient très vite un jeu dangereux, car lorsque le petit groupe croise la route du tueur, Rory réalise qu'elle est la seule en mesure de le voir, l'entendre et lui parler. Comment se fait-il qu'il reste invisible aux yeux des autres? Qui est-il? Un fantôme, l'esprit assoiffé de sang du premier Jack l’Éventreur? Si c'est le cas, pourquoi Rory dispose-t-elle soudain de la faculté de communiquer avec un défunt ? Alors que les événements se précipitent dans les rues sombres de Whitechapel, le don de Rory attise la colère de l'assassin et fait d'elle une cible de choix...

Trailer pour la sortie en VO du livre.

    Visuellement attrayant, ce premier opus, Les ombres de la ville, joue la carte de l'esthétisme : le livre s'ouvre en effet sur une superbe carte de Londres illustrée et chaque nouveau chapitre est décoré d'enluminures et d'une police de caractère aux accents gothiques. Les amoureux, comme nous, des intrigues à énigmes dans un décor de pensionnat à l'ancienne (un attrait sûrement né avec notre lecture, enfant, des Disparus de Saint Agil, de Pierre Very) seront servis : l'arrivée de Rory dans cette école aux accents old school immerge les lecteurs dans une atmosphère aussi angoissante qu'enthousiasmante. On a adoré l'ambiance de l'établissement et on s'est laissé aller à imaginer, au fil des descriptions de l'autrice, cette sublime bâtisse de l'époque victorienne : ses hauts murs de vieilles briques, ses couloirs de bois lambrissé, son réfectoire aménagé sous la nef d'une ancienne chapelle, ou encore sa bibliothèque pleine d'ouvrages épais et poussiéreux. D'ailleurs, bien que le pensionnat de Wexford n'existe pas réellement, Maureen Johnson s'est inspirée d'un bâtiment véritablement situé dans le quartier de Whitechapel pour l'imaginer. La romancière restitue avec réalisme le quotidien des étudiants et la fourmilière de ce pensionnat aux murs séculaires... 
 
 
Le bâtiment qui a inspiré l'auteure pour imaginer le lycée de Wexford. 
Selon Maureen Johnson, la chambre de Rory et Jazza se situerait derrière les trois fenêtres côte à côte du premier étage.

    Dans ce contexte très confiné, presque à huis clos, Maureen Johnson plante peu à peu le décor. Alors qu'elle pose progressivement les différents éléments nécessaires à l'intrigue, on suit la lente adaptation de Rory et ses habitudes d'Américaine face aux coutumes britanniques (le choc des cultures amenant à quelques scènes assez drôles). Parallèlement, à l'extérieur du campus, les meurtres se multiplient et leur  impact médiatique "force" les portes de Wexford jusqu'à faire brusquement irruption dans la vie des lycéens. Une fois l'héroïne pleinement confrontée au meurtrier et à son caractère surnaturel, l'intrigue s'éloigne quelque peu du pensionnat, et donc tout à la fois de l'univers"private boarding school" qu'on aime tant. Fort heureusement, chaque excursion londonienne est l'occasion de nous faire découvrir la ville de façon détournée, et particulièrement ses lieux clefs de l'histoire de l'éventreur ou des sites souterrains aussi fascinants qu'inquiétant...

"L'air londonien avait une odeur étonnamment pure et fraîche, voire un peu métallique. Le ciel était d'un gris dense, uniforme."


Le pub The Ten Bells, le marché de Spitafield, ou encore la station de métro abandonnée de King William Street...
autant de lieux traversés par ce roman, qui donne une furieuse envie de vacances londoniennes...
 
    Dès lors, le parfum victorien qui planait depuis le début du roman disparait également : l'intrigue s'écarte en effet de la figure de Jack l'éventreur et nous emmène à la rencontre d'une unité rattachée aux services secrets et à la Société pour la recherche psychique, ambiance plus moderne aussi bien dans les décors que dans les thèmes abordés. La transition pourrait presque paraître un peu trop soudaine, mais Maureen Johnson parvient à faire tenir le tout grâce une mythologie intéressante et à des idées ingénieuses. Si on regrette un peu que le roman prenne ses distances avec le mythe de Jack l'éventreur, on s'est entre temps trop attaché aux personnages pour se prétendre déçu. Grâce à un très habile mélange de frisson et d'humour (en partie assuré par Rory et son décalage constant avec le paysage so british), le tout peut par moment évoquer une version délocalisée de Buffy, avec ce mélange d'univers adolescent lycéen qui se confronte aux forces occultes d'un cadre urbain aux accents gothiques. Ce sentiment est renforcé par la petite équipe de protagonistes qui se forme, très scooby gang.



    Le final laisse planer de brûlantes questions quant à l'avenir de Rory, suffisamment intrigantes pour nous donner envie de poursuivre cette trilogie. On attend donc le second opus avec impatience, en souhaitant qu'il exploitera encore plus ce que celui-ci contenait déjà de très bon (les références à la Société pour la recherche psychique, fondée en 1882 et ayant réellement existé, donnent envie d'en savoir plus ; on espère qu'il en sera davantage question dans l'opus suivant).
 
"Plutôt que de décrire un fantôme comme un mort autorisé à communiquer avec les vivants, définissons-le comme la manifestation d'une énergie personnelle persistante."
(Fred Myers, Actes de la Société pour la Recherche Psychique, volume 6, 1889.)  




Couvertures des éditions grecque,  Tchèque, et russe.

En bref : Londres, un pensionnat au cœurs des brumes de Whitechapel et... le retour de Jack l'éventreur. Si le mythe de l'iconique tueur en série sert surtout à appâter les lecteurs, ce premier opus de Hantée se révèle très prometteur. Face aux spectres qui se promènent en ville, Rory affronte avec humour et ironie des forces occultes dans une Angleterre chargée d'Histoire. On s'attache aux personnages et on frissonne plus d'une fois au cours du livre. Vivement la prochaine rentrée à Wexford !


Et pour aller plus loin...


- Poursuivez la série avec le tome 2 ICI et le tome 3 ICI


2 commentaires:

  1. Merci pour toutes ces infos et les photos. Tout cela est très intéressant. Ca me plait bien que les avis sur ce livre soient si différents. Je m'attendais aussi à une autre exploitation du mythe de Jack l'Eventreur et c'est surtout ce point qui m'a déçu. J'ai également aimé le côté internat mais comme j'ai lu ce livre juste après Night School, je n'ai pas pu m'empêcher de comparer les deux. Par contre, le fait que Rory soit américaine est effectivement un vrai plus. Je lirai la suite avec grand plaisir. Les Disparus de Saint Agil est dans ma PAL. Il faut que je le lise !

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    1. Alors que de mon côté, j'ai lu "Night School" juste après, ce qui a sûrement permis à "Hantée" de ne pas souffrir de la comparaison! =p La couverture en VO du tome 2 de "Hantée" est déjà visible sur le net, je suis vraiment impatient de lire cette suite (en espérant qu'elle en vaudra la coup!). J'ai envie de poursuivre mes lectures dans cette ambiance "pensionnat mystérieux", du coup je viens d'acheter le premier roman d'une série dans ce style, intitulé "Le jeu" (série "la vallée des secrets" d'une auteure allemande). ça ma l'air pas mal, je te dirai ce que ça vaut quand j'aurais commencé ;-)
      Et je pense me refaire "les disparu de St Agil" à l'occasion moi aussi =D

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