Createspace publishing, 2019.
Alors que les Français sont happés les uns après les autres par la
guerre de 14, Ray Février a fait un choix radical afin d’échapper à la
mitraille : le policier en godillots s’est lancé dans une carrière de
détective privée en jupon sous le nom de Loulou Chandeleur.
Pour sauver
son ancien commissaire menacé par une étrange dénonciation dans une
affaire de mœurs, Ray-Loulou n’hésite pas à enquêter à l’intérieur d’une
maison de tolérance située impasse du Bout-du-Monde, entre un café
louche et une caserne où l’armée conduit à grand bruit des recherches
mystérieuses. Notre détective en escarpins embarque dans cette aventure
la fidèle Léonie, chanteuse au bagout inénarrable, et Cecily, la très
sage patronne de l’agence de détectives féminines Barnett.
Dans un
enchaînement de péripéties rocambolesques, Frédéric Lenormand brosse le
tableau d’une France où les femmes qui font tourner l'économie rêvent de
supplanter les hommes auxquels elles restent subordonnées.
***
Hourra! Voilà le grand retour de Loulou Chandeleur! Fin 2017, Frédéric Lenormand inaugurait le premier tome de cette série consacrée aux enquêtes de Raymond Février, obligé de devenir Loulou Chandeleur pour éviter le massacre du front. De policier talentueux, le déserteur devient la première détective privée (sous couverture, fard, et maquillage) du Paris de 1914. Pastichant le fait divers Paul Grappe (entre autre raconté par le déjà célèbre essai La garçonne et l'assassin), l'auteur proposait une enquête historique tantôt légère, tantôt grave, évoquant le cloisonnement et le croisement des genres. Parce que l'éditeur ne souhaitait pas poursuivre la série, Frédéric Lenormand poursuit ses enquêtes travesties en auto-édition, et c'est heureux!
Le grand retour de Raymond!
Euh, pardon, Raymonde,
euh, non, Loulou!
" Le jour se leva le lendemain matin sur une nouvelle journée riche en promesses d'aventures. Celles-ci débutèrent avec la concoction d'un petit-déjeuner par temps de pénurie. La chicorée était un produit merveilleux : plus besoin de moudre le café, de filtrer le café, de faire infuser le café... Il était seulement dommage que le goût fit tant regretter le café!"
Le lecteur retrouve donc un Raymond/Loulou qui ne supporte plus de porter jupe et perruque. Il faut dire qu'il y perd tout : sa dignité, mais aussi ses économies, qui passent en bas, collants, et autres cosmétiques nécessaires à dissimuler sa pilosité bien masculine. C'est prêt à se rendre à ses anciens collègues qu'il se présente aux bureaux de la police, lorsque son ancien supérieur et ami le commissaire Letourneau (mis dans la confidence), fait appel à ses services : inutile de faire tomber les masques, il a besoin d'une femme enquêtrice! Loulou sera son homme, et la mission est de taille... Il semblerait que quelqu'un cherche à compromettre son ancien supérieur en éclaboussant sa réputation d'une sale affaire de mœurs. Les indices conduisent à une maison close située dans la bien nommée rue du bout-du-monde, où le moindre képi éveillerait les soupçons... Loulou ayant l'allure mais pas encore l'anatomie nécessaire pour s'infiltrer dans le plus simple appareil, il/elle fait appel à sa voisine de palier, la chanteuse de cabaret à l'honnêteté toute relative, Léonie. Une fois toutes les deux dans la place - l'une comme maquerelle et videuse, l'autre comme cocotte façon Moulin Rouge - et en étroite relation avec Cecily qu'il a fallu convaincre d'accepter cette sordide affaire, l'enquête peut commencer...
Maison close dans les années 14-18
"- De belles filles, de l'alcool, de bon lits : c'est le paradis, chez nous!
- Je ne suis pas sûr que l'évêché serait du même avis, dit Loulou."
Quand Frédéric Lenormand ne fait pas des merveilles avec le siècle des Lumières (cf la série des Voltaire mène l'enquête), il conte avec un égal talent le Paris de 14-18. Le décor d'une capitale envahie par les femmes, obligées de remplacer les hommes, déjà planté avec minutie dans le premier opus, l'auteur accorde ici toute son attention à son intrigue. Pour autant, le filigrane des situations racontées ou des différentes scènes qui s'enchaînent continue de restituer un contexte socio-économique unique et des tensions d'ordre politique très véridiques.
"Il apparut finalement qu'il était bien suivi. Deux bonshommes leur filèrent le train dès qu'ils se remirent en marche. Pour semer son poursuivant, Letourneau s'offrit un des derniers taxis électriques encore en service, et Loulou perdit le sien dans une foule de clientes énervées qui se pressaient sous un panneau "arrivage de patates", l'autre n'avait aucune chance."
Ce souci historique ne tombe fort heureusement jamais dans un tableau trop noir, puisque le talent de narrateur de F.Lenormand est de toujours tirer le parti le plus ironique de chaque scène pour en faire un bijou d'humour et d'esprit. Le titre, dans la grande tradition Lenormand (il pourra bientôt déposer un brevet) parodie de façon très évocatrice la pop culture, sa manière à lui d'annoncer la couleur, le ton de la lecture. La drôlerie n'est cependant jamais très loin de l'intelligence car en dépit de tout l'humour véhiculé par le personnage de Raymond Février obligé de vivre les turpitudes de sa condition féminine nouvelle, pointe derrière la légèreté du propos une vraie réflexion sur les rapports hommes/femmes ou sur les conditions de vie de ces dernières. Le détective prend en effet conscience que porter la robe est loin d'être une partie de plaisir!
Maison close dans les années 14-18.
" Il ne s'était pas attendu, en optant pour des habits féminins, à prendre place sur le grand manège des turpitudes et de la suspicion. Décidément, il existait, dans la vie de femme, un écueil qu'il n'avait pas envisagé : à la moindre occasion on vous accusait de coucher avec n'importe qui. Jamais il n'avait été si embarrassé de vivre dans un monde d'hommes depuis qu'il n'en était plus un."
L'intrigue prenant pour décor principal une maison close pleine d'animation, on se réjouit de retrouver la fantasque Léonie, ce personnage de chanteuse populaire croisé dans le premier tome, mais on regrette un peu la présence toute relative de Cecily Barnett, la jeune gérante de l'agence de détectives dans laquelle travaille Loulou, et qui ne fait que quelques trop rares incursions dans l'histoire. Si le scénario justifie cette présence en pointillés, on attend maintenant un troisième tome (et éventuellement un quatrième, puis un cinquième, etc...) pour profiter un peu plus d'elle, et ainsi voir s'approfondir la relation ambiguë qu'elle noue avec Loulou. Enfin avec Raymond. Enfin vous avez compris.
Les Taties flingueuses? Loulou doit être celle tout à droite...
En bref : Dans la continuité du très bon premier opus, ce second tome des enquêtes de Loulou Chandeleur nous permet une nouvelle plongée dans le Paris de 14-18. A travers le regard de Raymond Février, homme devenu femme pour sa survie, l'Histoire nous est restituée avec un mélange de crédibilité précise et d'humour tranchant.
Et pour aller plus loin...
- Découvrez toute la série : Le tome 1 ICI, et les suivants à venir...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire