dimanche 19 janvier 2025

La princesse morte et les sept chevaliers - Alexandre Pouchkine.

Сказка о мёртвой царевне и о семи богатырях
, Skazka o miortvoï tsarevne i o semi bogatyriakh, 1834 - Multiples éditeurs français, dont les éditions Bourgeois (trad. d'E. Vivier-Kousnetzof ), 1981.
 
    Dans un paysage de neige, une reine guette à sa fenêtre le retour du roi son époux. Celui-ci réapparaît alors qu'elle vient de mettre au monde une fille, mais elle en meurt d'émotion. Le tsar, d'abord inconsolable, se remarie au bout d'un an avec une princesse très belle mais fière et jalouse, qui se fait régulièrement confirmer par son miroir magique qu'elle est la plus belle femme au monde. Toutefois la jeune princesse grandit et embellit, et se fiance au prince Elyzée. Le miroir doit alors reconnaître que c'est la jeune princesse la plus belle : la reine, furieuse, ordonne à sa servante, la Noiraude, de conduire cette dernière dans la forêt et de l'y attacher pour qu'elle soit dévorée par les loups. Mais la servante se laisse attendrir et l'abandonne, libre. Le tsar est consterné par la disparition de sa fille, et le prince Elyzée, son fiancé, part à sa recherche.
 
***
 
    Il y a quelques semaines, on a abordé les versions alternatives de Blanche-Neige que la tradition orale a fait circuler aux quatre coins du globe à travers le très beau recueil Les histoires de Blanche-Neige racontées dans le monde. Si l'ouvrage proposait de faire découvrir les sœurs et cousines tantôt écossaises, tantôt nigériennes de l'héroïne immortalisée par les frère Grimm, on avait regretté qu'il ne contienne pas au moins une des versions russes existantes. Comme on avait pu vous l'expliquer précédemment, la transmission des contes de par le monde a donné lieu à autant de textes qu'il existe de pays (et parfois de régions), tous se réclamant d'une trame ou d'une construction similaire, mais se diversifiant par la culture locale. La classification issue des recherches des folkloristes Antti Aarne et Sthit Thompson a ainsi permis de numéroter chaque structure de conte, leur "trame sèche", afin d'identifier plus facilement leurs différentes réécritures et alternatives à travers le temps et l'espace. Le conte de Blanche-Neige et ses dérivés (ainsi que ses prédécesseurs) y sont classés sous le numéro 709.
 

    En Europe de l'Est, ce conte n° 709 a donné lieu à de nombreux enfants, dont les plus connus sont de la plume d'Alexandre Afanassiev et d'Alexandre Pouchkine. C'est plus spécifiquement le texte écrit par le second qui nous a marqué : son conte de La princesse morte et les sept chevaliers, écrit quelques années après la parution du Blanche-Neige des frères Grimm, est une alternative à la fois poétique et exotique, propre à l'âme slave. Cette version, on l'a connue grâce à son adaptation en court-métrage animé par les studios soviétiques Soiouzmoultfilm qui ont, au milieu du XXème siècle, réalisé de très beau dessins-animés inspirés des contes traditionnels russes. Découverte au hasard des programmes télévisés un soir de Noël au milieu des années 90, cette Princesse morte nous avait séduit au point de marquer durablement notre mémoire.



La princesse morte, superbe adaptation animée russe de 1951.

    Il avait été en revanche beaucoup plus dur de trouver une version traduite du texte, assez rare dans les recueils de contes slaves disponibles en France (lesquels privilégient les anthologies d'Afanassiev). Cette ancienne édition d'une sélection de contes de Pouchkine sortie en 1981, encore disponible chez les revendeurs et bouquinistes, a été l'occasion de la découvrir. Constitué de nombreux vers à la façon d'un long poème, le conte de La princesse morte est bien plus qu'une copie des frères Grimm. Si Pouchkine a très probablement été inspiré par ses confrères allemands (il semble en effet qu'aucune version connue du conte 709 ne préexiste en territoire russe), il ne procède pas à un simple plagiat et propose une lecture véritablement inspirée par la philosophie et l'esprit de son pays. Bien que l'héroïne n'ait pas de prénom particulier (on la surnomme sobrement "la princesse"), la dimension saisonnière et la neige occupent encore une place d'importance puisque c'est en attendant le retour de son époux en regardant le paysage couvert de duvet blanc que la tzarine met au monde son enfant.
 

    Pour le reste, les personnages secondaires s'avèrent souvent plus développés chez Pouchkine que chez Grimm. Chose rare dans les contes, il baptise en effet le prince (Elizée), déjà fiancé à l'héroïne et qui, loin de tomber sur son cercueil par hasard, la recherche courageusement à travers tout le royaume. L'auteur insère également dans son histoire de nombreux dialogues qui étoffent les protagonistes et les liens qui les unissent, à l'image des sept frères chevaliers et des échanges qu'ils entretiennent avec la princesse : il est très rare que les autres versions aient à ce point mis en relief le respect et l'affection qu'ils entretiennent.


    Pouchkine greffe également ici et là des phrases et tournures iconiques des contes traditionnels slaves. L'invitation des frères chevaliers, par exemple, lorsqu'ils rencontrent la princesse ("Si tu es un vieil homme, tu seras notre oncle. Si tu es une vieille femme, tu seras notre mère. Si tu es une jeune femme, tu seras notre sœur...") est une formule extrêmement courante dans les textes classiques russes. La quête du prince Elyzée, qui demande successivement au Soleil, à la Lune et au Vent s'ils ont vu sa dulcinée, est également un schéma narratif bien connu des contes propres à la Russie.
 
 
    On n'est certainement pas très objectif, parce que ce texte réveille chez nous une évidente nostalgie. Mais cette version étrangère possède un charme particulier, une âme unique qu'on aime d'ailleurs retrouver dans tous les contes russes, qui sont depuis entrés dans nos lectures favorites.

 
En bref : Version russe de Blanche-Neige, La princesse morte et les sept chevaliers est une réécriture poétique et exotique de l'histoire que tout le monde pense connaître. Si l'on y retrouve la trame des frères Grimm, décors, parfums et narration nous transportent par-delà les terres et les fleuves à la rencontre de l'âme délicieusement slave de Pouchkine. Les personnages, beaucoup plus habités que dans la version allemande, donnent un petit supplément d'âme à cette histoire aux mille et un visages.



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