mercredi 30 juillet 2025

Un printemps pour rénover son Terrier...

 

    Voilà un moment déjà que nous n'essayons plus d'être ponctuel : le récap' de printemps qui arrive en plein milieu de l'été, c'est du jamais vu. On a même failli faire l'impasse, sauter le résumé de cette saison pour passer directement à notre compte-rendu estival dans quelques semaines. A notre décharge, nous avons été bien occupé débordé au cours des derniers mois ; notre quotidien donne chaque jour un peu plus raison à cette publication qu'on croise souvent sur les réseaux sociaux et qui dit "Adulthood is saying "But after this week things will slow down a bit" over and over until you die." Bref, on n'est pas rendu. Les joies de la vie de propriétaire sont pour beaucoup dans notre absence, dans notre retard, et dans la baisse de notre temps de lecture (proportionnel à la hauteur de la PAL, qui continue de grimper – c'est bien connu que la meilleure façon d'apaiser la frustration de ne pas avoir le temps de lire, c'est d'acheter des livres). Parallèlement, nos obligations professionnelles ont dévoré le reste de notre planning, puis nous avons dû faire avec les quelques brèches que nous avons pu ouvrir ici et là dans ce rythme de folie pour ne pas perdre la tête. Voilà donc un retour (très) imagé sur ce qu'on a réussi à faire quand on ne désherbait pas le jardin, quand on ne collait pas du papier peint, quand on ne repeignait pas les murs, quand on ne désherbait pas le jardin (oui, on sait, on l'a déjà dit, mais ça revenait souvent, cette histoire), et qu'on ne courait pas après des enfants.
 
Escapades et vie au grand air
 
 
 
 
    On a commencé le printemps avec ce tout mignon salon de jardin "hérité" de notre grande sœur après avoir fait le tour de quelques membres de la famille qui ne l'avaient finalement jamais utilisé. Il a tout naturellement trouvé sa place dans notre petite courette où, dissimulé par les buissons et arbustes, on a pris plaisir à bouquiner dans la douceur retrouvée des après-midi. Cela n'équivaut évidemment pas le superbe et très regretté saule sous lequel on lisait il y a un peu plus de dix ans, dans notre Terrier d'enfance, mais c'est malgré tout un soupçon de cet âge d'or qu'on a retrouvé là.
 
 
 
    La saison ayant rapidement pris la forme d'une course sans fin et d'un enchaînement ininterrompu de deadlines à respecter, on a été rapidement contraint d'abandonner les pauses lecture pour nous consacrer aux compte-rendus à rendre, aux formations à préparer et aux conférences à concevoir. Sans oublier le traditionnel projet artistique et culturel annuel avec nos petits monstres, mais on y reviendra plus tard (en fin d'article très exactement). Il nous est donc resté de très rares instants de liberté volés de ci de là dans un calendrier assez peu enthousiasmant, instants qu'on a donc préféré consacrer aux sorties et promenades dans l'unique but de nous aérer les méninges et petites cellules grises. On a ainsi redécouvert les circuit arpentés dans le givre hivernal cette fois couverts de fleurs et de bourgeons.
 


    On a également profité de l'allongement des journées pour nous égarer sur de nouveaux sentiers et arpenter des territoires inconnus. Parmi ceux-là, un chemin s'enfonçant dans le sous-bois, anciennement voie d'un petit train qui couvraient quelques kilomètres du secteur il y a environ cent ans. On y a trouvé quelques trésors : des maisons dissimulées dans les broussailles, d'autres escaliers cachés, des roches à la Hanging Rock (non, on ne s'est pas défait de cette obsession ; oui, on y pensera à chaque fois qu'on croisera un semblant de falaise), et des passages secrets à explorer.
 


    Puis est venu le temps des cueillettes et des récoltes : les cerises chez grand-père et grand-mère Lapin et, surprise, les fraises chez nous ! On avait en effet remarqué des fraisiers dans le jardin annexé à notre tout nouveau Terrier. Nous avons eu la joie de voir mûrir des centaines de milliers de fraises qui ont fait le bonheur de ce printemps (non, nous n'exagérons pas : vous verrez ce qu'on en a fait dans la rubrique culinaire un peu plus bas).

 
 
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Cadeaux, achats et acquisitions
 
 
     Comme nous l'évoquions plus haut, moins nous avons de temps à consacrer à la lecture, plus nous achetons de livres. Une façon comme une autre de compenser la frustration. Aussi, malgré l'absence de vraie bibliothèque (pour l'instant, du moins) au Terrier (tous nos livres sont encore répartis dans une bonne soixantaine de cartons), nous avons continué de nous offrir de quoi la remplir. Simple précaution.
    Parmi les nouveautés, donc, nous avons fait une entrée conséquente d'ouvrages de Fabrice Colin (qu'on ne présente plus). Les raisons ? Vous les connaîtrez bien assez tôt. Mais quelles qu'elles soient, elles ont été l'occasion de redécouvrir certains de ses titres à côtés desquels nous étions passé au cours des dernières années, y compris au temps reculé (mais pas tant que ça non plus, hein, faut pas exagérer) de notre adolescence (cette étrange période pendant laquelle nous n'avions rien d'un adolescent, par ailleurs – ça, c'est arrivé après, une fois entré officiellement dans l'âge adulte ; la vie est bizarrement faite). Projet oXatan, Camelot et Magnetic Island ont ainsi rejoint la PAL. Parmi ses titres les plus récents, l'éditeur nous a fait cadeau des trois premiers opus de sa nouvelle série jeunesse : A bord du Mythic, le jumeau du Titanic, dont on a chroniqué le tome 1 ici.
    Pour ce qui est de nos autres acquisitions : une édition collector de Frankenstein est malencontreusement tombée dans notre tote bag pendant les courses (oups), on s'est laissé séduire par le résumé de L'heure des oiseaux de Maud Simonnot, on a craqué pour la couverture de La librairie disparue de Evie Woods (non, nous n'avons pas encore trouvé de remède au cover porn) et, enfin, nous avons acquis le dernier né de la géniale collection Histoires Galantes de Pascale Debert, consacré à Marie-Anne Collot, talentueuse sculptrice des Lumières. 
 
 
     On a également déniché, en occasion, un roman documentaire consacré au tour du monde fait par Nellie Bly, le livre Appelle-moi de Delia Ephron (sœur de Nora Ephron, célèbre réalisatrice, productrice et scénariste américaine), et Les invisibles de Mar Romasco-Moore (trouvé dans un déstockage de grande surface : on s'est dit "pourquoi pas"). Avec les trois premiers tomes de A bord du Mythic, l'éditeur nous avait aussi fait cadeau des premiers opus d'une autre série parue dans la même collection : Léo et les orphelins de Paris, de Thibault Bérard, prometteuses aventures se déroulant dans les rues de la capitale pendant la Commune. Enfin, c'est assez rare pour être noté : nous nous sommes offert deux romans graphiques - une adaptation de Frankenstein (chut, nous ne tolèrerons aucun commentaire) et le très beau Abîmes, de Lucile Corbeille, récit familial torturé magnifiquement illustré.
 
 
     Là s'arrêtent nos achats (comment ça "Enfin" ? On ne vous permet pas !). Parlons des cadeaux à présent, notamment les cadeaux d'anniversaire. Un ami et collègue nous a offert ce superbe ouvrage pour faire soi-même ses book nooks (vous savez, ces séparateurs de livres qui ressemblent en même temps à des maquettes très très canons), qu'on avait repéré quelque temps plus tôt en librairie. Une collègue de promo de l'école de Poudlard nous a fait cadeau d'un ouvrage collectif sur la ville de Tonnerre, rédigé dans le cadre d'un atelier d'écriture dont elle est en partie l'organisatrice. Une amie nous a offert The miraculous journey of Edward Tulane, de Kate DiCamillo, parce qu'il y avait un lapin sur la couverture et que, chose étrange, on n'avait jamais ni croisé ni entendu parler de ce qui semble être un véritable petit bijou littéraire.
 
 
 
    Et puis on a reçu ce supeeerbe colis de Jane Austen lost in France, joli melting pot de tout ce qu'on aime. Du thé d'inspiration littéraire, un Atlas du Paris fantastique, un carnet, un jeu de cartes Alice in Wonderland, sans oublier une carte Lana Del Rey, furieusement pop ! On est décidément bien trop gâté ! 
 

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Popote et casseroles 
 
 
    Or donc, les fraises. Nous vous en parlions un peu plus haut. Les photos ci-dessus donnent un aperçu de ce qu'on pouvait récolter tous les trois jours – et encore, uniquement parce qu'on n'avait pas le temps d'en cueillir davantage : on en a certainement perdu plus qu'on n'en a récolté. Cette profusion inattendue a été l'occasion de faire de nombreuses offrandes aux amis venus proposer leur aide dans les travaux du Terrier, mais aussi de s'amuser en cuisine et de tester quelques recettes.

 
    Pour ce qui est des classiques, puisque le jardin a aussi été généreux en rhubarbe, on a pu refaire le crumble fraise rhubarbe aux biscuits roses, délice acidulé qui fait toujours son petit effet (visuel ET gustatif). Pour ce qui est des nouveautés, c'était l'occasion de tenter les confitures : fraise-rhubarbe tout d'abord, puis fraise tout court. La texture de cette dernière est encore à retravailler, mais on est sur la bonne voie.


 
    Mais la VRAIE découverte, c'est la strawberry rhubarb pie recette tirée du livre Mr American Pie de Marc Grossman, qu'on n'avait jamais eu l'occasion d'essayer. Tout d'abord parce qu'il faut une telle quantité de fraises que si on devait les acheter, on se ruinerait pour un dessert ; ensuite parce que la fraise cuite dans une tarte, il est vrai que c'est assez peu courant de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais notre curiosité culinaire et notre fascination esthétique pour l'univers de Pushing Daisies (ceux qui n'ont pas la ref sont priés de sortir, de regarder cette série, puis de revenir sur cette page : ils y seront de nouveau les bienvenus) l'a emporté, et c'est heureux. Pourquoi ? Parce que le résultat est tout simplement INCROYABLE. On a hâte d'être au printemps prochain pour recommencer.
 

     Forcément, après ce déluge de fraises, le reste de ce compte-rendu culinaire va sembler très banal. Du côté du salé, on a testé et approuvé le poisson au court-bouillon, un classique que plus grand monde ne doit connaitre. Les feuilletés au jambon, faciles ET rapides, nous ont nourri les jours où la surcharge de travail ne laissait plus la place au temps nécessaire en cuisine et, évidemment, le retour du soleil a ouvert la saison des salades grecques et des tomates mozzarella !
 



 
Bricoles et fariboles :
 
 
    Si on fait abstraction des travaux, il n'y a pas eu de bricolages "personnels" ce printemps (et nous avons complètement oublié de prendre des photos afin de faire un comparatif avant-après). En revanche, il y a eu le grand final du projet artistique et culturel que nous portons comme tous les ans sur notre lieu de travail avec nos loustics. Nous avions d'ailleurs, cet hiver, présenté l'un des livres précédemment créé dans ce contexte : Il était plusieurs fois, un livre jeu inspiré de l'univers des contes de fées avec l'accompagnement du génial auteur Fabien Clavel

    Cette année, nous avons recoupé avec eux deux thématiques : la famille et les monstres (ce dernier terme n'étant pas à prendre au premier degré, mais plus sous l'angle du concept). Ce travail d'un an avec l'autrice et animatrice d'atelier d'écriture Marion Rollin a donné lieu à une création multimodale : un livre imagé comme un album photo intitulé Heurs & malheurs de l'étrange famille Dyscornu, à une exposition et à une lecture animée. Le vécu de cette famille fictive s'étalant sur plus de cent ans a ainsi été présenté à travers des vitrines, sortes de mini-cabinets de curiosités, qui dévoilent chacune la vie d'un des personnages.
 
   

    Les différentes restitutions ont donné lieu à des retours extrêmement positifs et ont suscité beaucoup d'émotion, comme en témoignent ces différents articles ICI, ICI ou encore ICIPour l'instant, l'ouvrage n'est accessible qu'auprès de la structure porteuse du projet, mais il sera prochainement disponible en librairie - pour les curieux que cela intéresse, on ne manquera pas de faire suivre l'information !
 
 
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    Voilà pour ce printemps raconté tardivement, mais fort bien rempli tout de même. En attendant le récap' de l'été – qu'on espère publier dans les temps cette fois-ci, on retourne à nos lectures et divers projets estivaux. D'ailleurs, du désherbage nous attend (oui, encore).
 

lundi 21 juillet 2025

A bord du Mythic #1, "Un paquebot de rêve" - Texte de F. Colin, illustrations de M. Castello.

Albin Michel Jeunesse, 2025.
 
 
    Avril 1912. Angèle et Victor sont deux enfants que tout oppose. Elle est la fille d'un capitaine, issue d'un milieu fortuné ; il est le fils d'une modeste femme de chambre. Pourtant, ils partagent le même rêve : voyager à bord du Mythic, un paquebot flambant neuf prêt à appareiller au Havre. Mais comment convaincre leurs parents d'embarquer avec eux sur ce navire, alors que le Titanic vient tout juste de faire naufrage ? 
 
Découvrez les palpitantes aventures d'Angèle et de Victor à bord du Mythic, un paquebot identique au célèbre Titanic !
 
 
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    S'il nous arrive encore régulièrement de lire de la littérature jeunesse (parce qu'on est et restera probablement jusqu'à notre mort adulescent et fier de l'être), on s'est rarement intéressé à ce qu'on appelle aujourd'hui le "middle grade". Le middle grade, quésaco ? Ce délicieux terme importé d'outre-Manche désigne les 8-12 ans, une sous-catégorie de lecteurs qu'on ne nommait et qu'on ne distinguait pas à l'époque où on n'en faisait nous même partie. Enjeux de communication et/ou besoins de capter rapidement le public visé, l'appellation de "middle grade" s'est donc invitée dans l'Hexagone il y a une quinzaine d'années. Elle correspond le plus souvent aujourd'hui à des romans relativement courts imprimés en gros caractères, parfois abondamment illustrés : les séries Miss Agatha chez Larousse, Charlock le chat et Marie-Antoinette et ses sœurs chez Flammarion ou encore Elisabeth, princesse à Versailles chez Albin Michel en sont les meilleurs exemples. Le middle grade chez Albin Michel, justement, se distingue par ses sagas historiques de grande qualité et par leur parution très rythmée, quasi feuilletonnesque (entre trois et quatre tomes par an). Parmi les dernières séries parues, A bord du Mythic, le jumeau du Titanic, a retenu notre attention... 
 

    L'intrigue nous emmène en 1912 : le Titanic, réputé insubmersible, vient de couler après avoir heurté un iceberg. Alors que la nouvelle secoue le monde entier, la compagnie maritime propriétaire du paquebot, la White Star Line, tente de sauver sa réputation grâce aux navires jumeaux du célèbres bateau : le Britannic, l'Olympic et le Mythic. Ce dernier, notamment, est prêt à partir en mer, mais la triste renommée de la société fait fuir le potentiel capitaine. Le remplaçant idéal existe, et il se trouve à Venise : Joseph de Latour, parti en retraite anticipée depuis le décès de son épouse, un an plus tôt. C'est sa fille, la pétillante Angèle, qui le convainc de relever le défi ! Pendant ce temps, à Marseille, le jeune Victor tente de sauver sa mère d'un mauvais pas. Cette dernière, domestique dans une grande maison, est malmenée par son employeur. Victor est persuadé que si elle parvenait à se faire embaucher à bord du Mythic, tous les deux pourraient voguer vers une vie meilleure. C'est ainsi que les destins de Victor et Angèle vont se croiser, mais ils seront tout sauf un long fleuve tranquille !
 

    L'auteur de cette pépite n'est plus à présenter : Fabrice Colin, écrivain de littérature jeunesse et de littérature adulte, connu (entre autres) pour ses romans La malédiction d'Old Haven, Tu réclamais le soir, ou encore Golden Age, tous dans des registres très différents. Mais quelle que soit la tranche d'âge visée, lire un Fabrice Colin, c'est toujours comme rentrer à la maison – autrement dit, en toute subjectivité, on est déjà convaincu avant même de l'avoir ouvert. Pour les besoins de cette nouvelle série, il imagine un troisième jumeau au Titanic : comme cela est précisé en début d'ouvrage, le célèbre paquebot avait effectivement deux "sister-ships", le Britannic et l'Olympic, que l'auteur ne pouvait cependant utiliser dans une fiction au regard des faits historiques. Aussi, pour les besoins de la narration, il invente le Mythic : une copie conforme, un décor idyllique pour servir de théâtre aux aventures d'Angèle et Victor.
 

    Pour autant, malgré ces libertés, A bord du Mythic laisse deviner de méticuleuses recherches historiques : qu'il s'agisse du bateau, de l'époque, ou des différents lieux qui servent de décor à ce premier opus, l'ensemble témoigne d'une réelle authenticité. La dernière double page en est un bel exemple : sorte de bonus documentaire, elle propose au jeune lecteur de s'arrêter quelques minutes sur le plan du bateau pour mieux comprendre la composition d'un paquebot de grand luxe. Les personnages sont aussi le point fort de ce livre. Avec ces deux héros d'origines sociales radicalement différentes, Fabrice Colin raconte l'émergence d'une belle amitié. Angèle et Victor se découvrent rapidement des atomes crochus et on a hâte de les voir davantage ensemble dans les prochains opus.
 

     Les illustrations sont assurées par Margherita Castello, artiste et bédéiste italienne dont on découvre ici le coup de crayon particulièrement rafraichissant. Pour ce premier tome, elle signe une trentaine d'images qui restituent le charme désuet des années 1910, dont des scènes très évocatrices de villes portuaires d'antan, entre quais pavés, pontons et paysages marins qui sentent bon les embruns !
 

En bref : Le premier tome d'une nouvelle série d'enquêtes et d'aventures pour les 8 - 12 ans à bord d'un navire jumeau du Titanic. Fabrice Colin, auteur qu'on ne présente plus, met en scène un duo de petits héros attachants qu'on est déjà impatient de retrouver. Le tout est mis en image par la talentueuse Margherita Castello, dont les illustrations pleines de finesse nous plongent dans le charme des années 1910.
 

vendredi 18 juillet 2025

Les fantômes du lac - Manon Gauthier-Faure.

Les fantômes du lac, mémoire d'un village meurtri
, éditions Marchialy, 2024 - Le Livre de Poche, 2025.
 
        Deux jeunes sœurs sont mortes noyées dans un village de la Marne en 1978. On raconte qu’on les a retrouvées dans un étang, main dans la main, en tenue de communiante. Intriguée par cette rumeur, Manon Gauthier-Faure se rend sur place, où le mystère s’épaissit  : les coupures de presse sont maigres et les habitants semblent avoir oublié les circonstances du drame. Plus étrange encore, il semblerait que les deux sœurs réapparaissent dans l’EHPAD du village en tant que fantômes. Dans cette bourgade rurale en apparence paisible, l’autrice fait le grand écart entre un travail d’archives et une collecte de témoignages sur des phénomènes paranormaux.
 
"À la confluence de cette histoire, il y a toutes les autres, racontées par ceux qui ont ouvert leur porte à Manon Gauthier-Faure. Ils font aussi le sel de ce très beau récit, définition poétique, lumineuse et nostalgique de ce genre que l’on nomme «  littérature du réel  »."
Le Parisien.
 
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     Après Mon vrai nom est Élisabeth, il semblerait qu'on soit abonné aux récits inclassables et aux enquêtes qui s'affranchissent des autoroutes bien fréquentées du genre. Ni tout à fait roman, mais pas non plus documentaire, cet ouvrage de "non fiction" flirte pourtant dangereusement avec l'invisible - un mélange des genres qui a de quoi intriguer. Si le livre a en cela quelque chose d'aussi inédit qu'original, Manon Gauthier-Faure n'en est pas à son premier coup d'essai. Journaliste, entre autres au service faits divers du Parisien, elle est également l'autrice de Les pièces manquantes, paru en 2021, une troublante enquête sur le prétendu fils du serial killer du Zodiac qui l'avait amenée à s'interroger sur sa propre famille et sur son rapport à la figure paternelle.
 

    Avec Les fantômes du lac, Manon Gauthier-Faure se penche sur une affaire plus secrète, une cold case effacée des mémoires et certainement des archives criminelles françaises. Oubliez le San Francisco du Zodiac : c'est dans un petit village du Grand Est que la journaliste se rend, à Varin-le-Haut très exactement, pour enquêter sur les apparitions et phénomènes inexpliqués que recensent les professionnels et résidents de l'EHPAD. Pour les aides-soignantes et les agents, ce sont des portes qui claquent et des coupures d'électricité. Des rires enfantins entendus au loin, parfois. Des bottes écarlates qu'on croit apercevoir par dessous une porte ou derrière un meuble. Pour les personnes âgées, toutes plus ou moins atteintes de troubles cognitifs, ce sont les esprits de deux fillettes, Marielle et Nathalie, qui viennent leur rendre visite. Marielle et Nathalie, justement, ce sont les noms de deux sœurs retrouvées mortes, main dans la main, dans un trou d'eau un jour de 1978. Marielle et Nathalie Frine : des noms que Varin-le-Haut n'a pas oubliés. 
 

"Les mauvais souvenirs ou une espèce de honte refont peut-être surface (...). Quand on les enfouit, ils finissent toujours par nous rattraper."

    Des noms que le village n'a pas oubliés, certes, mais dont on ne parle pas. Et c'est là que le sous-titre du livre prend tout son sens : Mémoire d'un village meurtri. La mort de Marielle et Nathalie, à l'image de n'importe quel trauma, est venu figer quelque chose à Varin-le-Haut. On en tient pour preuve la faisabilité de l'enquête, près d'un demi siècle après les événements : métaphoriquement, les deux fillettes sont toujours là. Dans les pensée, dans les chuchotements, dans les regards, mais dans les non-dits surtout. De fait, il reste essentiellement des images générées par ce que la presse avait raconté à l'époque : les vêtements qu'elles portaient, l'étang qui fut leur dernière demeure, et cette anecdote qui a forgé la légende, à savoir ces deux petits corps découverts se tenant la main. Une légende qui a enflé au fil des années, parasitant le réel, les rumeurs prenant le pas sur la vérité (s'il existe une vérité, troublante complexité à laquelle se confrontera la journaliste). Mais pour autant, les deux fillettes ont elles-mêmes disparu derrière le fait divers. Ainsi cachée, étouffée sous les couverture de la légende urbaine, devrait-on s'étonner qu'elles reviennent sous une forme spectrale ?
 

" On a caché le drame pour ne pas effrayer les enfants. Mais ceux qu'il a vraiment terrorisés et ceux qu'il continue de marquer, ce sont les adultes. Afin de conjurer le sort, il a fallu taire les événements. Pour faire comme s'il n'avait jamais existé et pour qu'ils ne se reproduisent pas. Le silence engendre l'hypothèse, m'a-t-on dit un jour. On a fait de la noyade des petites Frine un tabou où les fantasmes et les traumatismes, avec les années, se sont immiscés."

    En dépit du caractère étrange de cette enquête, c'est peut-être dans cette question que réside tout le génie du livre de Manon Gauthier-Faure. Lorsqu'on s'engage dans sa lecture, on pourrait craindre une version papier d'une de ses émissions de seconde zone façon Ghost Hunters. Il n'en est rien : Les fantômes du lac est une enquête journalistique, aussi sérieuse que méticuleuse, laquelle se dote d'un petit supplément d'âme grâce à la plume très littéraire de son autrice. Cette dernière, si elle n'oublie jamais de traiter les événements comme des faits, élève le niveau du reportage par la grande humanité de son regard et son talent à saisir l'esprit d'un lieu comme de ses habitants. Au fil de sa recherche, loin du compte-rendu aseptisé, mais sans jamais tomber dans le sensationnel gratuit pour autant, Manon Gauthier-Faure partage ses ressentis et ses questionnements. Elle montre ainsi les transferts et contre-transferts que provoque en elle (et par extension, en tout un chacun : les villageois, mais aussi nous, lecteurs) cette affaire restée irrésolue.
 

"Elles ont ressuscité là où on ne les a pas connues de leur vivant, dans un lieu neutre, à l'orée du bourg. Au centre, dans les rues arpentées, on les a oubliées, ou on ne veut pas se les rappeler. Apparaître dans l'EHPAD, c'est pallier la culpabilité de la commune (...). Les anciens refusent de se souvenir, les plus jeunes en sont incapables. On a nié ce droit de connaître un pan de leur histoire. Les gens n'ont pas su se dépatouiller de ce trop-plein : trop de violence, trop d'"on-dit", trop d'inconnu. L'époque, la ruralité et les rapports rugueux ont sûrement fait le reste."

    Quoi qu'on pense de ces prétendues "apparitions" et peu importe le crédit qu'on leur accorde, l'issue du livre n'en est pas moins fascinante. Au croisement des différentes interprétations possibles, la lecture psychanalytique est celle qu'on retiendra : ces fantômes, réels ou imaginaires, étaient peut-être à percevoir comme le symptôme d'une mémoire traumatique – ici une mémoire collective, partagée et transmise. On verra en effet, comme dans tout processus psychique, que la mise en mots participera à faire disparaître les manifestations, et ce même si chacun ira de ses rituels personnels en fonction de ses croyances. C'est, après tout, l'objectif du rituel : penser et panser. Le voile que lèvera Manon Gauthier-Faure sera bien plus que le suaire de quelque fantôme ; ce sera l'écran de fumée de la légende qui avaient jusque-là condamné les parents des petites Frine, qu'elle réhabilite avec une touchante délicatesse.
 


En bref : En dépit de son titre et de son sujet, Les fantômes du lac, loin de verser dans le sensationnel, est un ouvrage on ne peut plus sérieux qui interroge le traumatisme collectif d'un village au même titre qu'une mémoire individuelle serait meurtrie par l'impensable. Ni tout à fait roman ni tout à fait documentaire, cette enquête journalistique d'une grande humanité s'affranchit des codes classiques du reportage pour remettre des mots sur des non-dits. C'est beau et troublant à la fois.
 

Et pour aller plus loin...