vendredi 6 octobre 2017

Les ensorceleuses - Un film de Griffin Dunne d'après le roman d'Alice Hoffman (1998).



Les ensorceleuses
(Practical Magic)

Un film de Griffin Dunne d'après le roman d'Alice Hoffman - 1998.

Avec : Sandra Bullock, Nicole Kidman, Dian Wiest, Stockard Channing, Goran Visjnic, Aidan Quinn, Evan Rachel Wood, Camilla Belle...

  Élevées par leurs tantes excentriques, Jet et Frances, dans une antique résidence, Sally et Gillian Owens se sont toujours senties différentes. En ce lieu propice à la magie et à la sorcellerie, elles ont appris les rites étranges que leurs ancêtres se transmettaient. Mais jalousées, enviées et redoutées, Sally et Gillian ont été rejetées. La première a tenté de mener une vie normale, mais n'a pu déjouer la malédiction qui pesait sur elle. La seconde a accepte sa différence et sa rencontre avec le satanique Jimmy va déclencher des forces qui la dépassent.  

***

  Si je ne devais citer qu'un seul film de sorcières, ce serait celui-là. A mes yeux, il est LE film. Quelle meilleure occasion que le rendez-vous cinéma du challenge halloween 2017 pour en parler?  Ce long-métrage de Griffin Dunne motivé par la productrice Denise Di Novi (productrice d'Edward aux mains d'argent et d'autres premiers succès de Burton) est adapté du roman Practical Magic (en France Drôles de meurtres en famille puis, les ensorceleuses après la sortie du film), d'Alice Hoffman. L'auteure, qui avait rencontré le succès avec son premier roman Property Off, avait connu l'apogée avec ce livre de "magic realism" : deux sœurs à la fois semblables et différentes, une Amérique pétrie de son héritage folklorique, des figures matriarcales hautes en couleurs, des superstitions et, dans tous ça, les affres de l'amour. Moins connu en France, le roman Practical Magic avait provoqué une véritable tornade outre-Atlantique et était rapidement devenu best-seller.



  Le film commence avec une légende, une histoire de famille : dans l'Amérique puritaine du XVIIème siècle et un décor qui nous évoque les sorcières de Salem, la populace d'une petite île s'apprête à pendre la belle Maria Owens pour pratique de la magie. Mais parce qu'elle possède réellement ce don, elle réchappe de son sort et vit désormais recluse avec le bébé qui grandit dans son ventre, et en attendant que son amant la rejoigne. Mais parce qu'il l'abandonne, elle se jette un sort pour ne plus connaître l'agonie de l'amour, un sort qui devient une malédiction : tout homme qui osera aimer une femme Owens mourra fauché dans la fleur de l'âge après avoir assuré leur descendance. Cette histoire est racontée par les tantes Owens, Jet et Frances, vieilles filles charismatiques, à leurs petites nièces orphelines accueillies dans leur grande demeure familiale, Sally et Gillian. Les siècles ont passé, mais sur l'île, l'opinion des autochtones est restée la même et l'on continue de les montrer du doigt : "sorcières!" siffle-t-on entre les dents. Il n'est pourtant pas rare de voir ces mêmes vieilles mégères superstitieuses venir toquer à la porte des Tantes pour réclamer quelque charme amoureux... Grandissant dans cette atmosphères plutôt atypique, Sally choisit de brider ses dons et de devenir une jeune fille sage, celle qui ne tombera jamais amoureuse, tandis que Gillian, beaucoup plus délurée que son aînée, s'assume complètement et ne tarde pas à s'enfuir avec son premier amant. Mais bien des années plus tard, la voilà qui appelle Sally au secours : son nouveau Jules, Jimmy, est un fou dangereux et violent... En tentant de lui échapper, les sœurs l'empoisonnent (accidentellement?) à la belladone, ce qui est loin de résoudre le problème : une fois mort, Jimmy, depuis sa tombe, est encore plus dénaturé. Une aura néfaste s'empare alors peu à peu de la maison des Owens...

 

  Conformément à toute adaptation qui se respecte, le scénario choisit très vite de prendre des distances plus ou moins grande avec le récit original : partant du roman, il remanie quelques éléments, en fait disparaitre certains, en accentue d'autres, et en ajout, parfois. Dans le texte original, le tour de force littéraire était de nous parler de sorcellerie sans jamais la nommer, remplissant ainsi à la perfection les codes du magic realism : aucune manifestation de magie avérée, d'apparition inexplicable ou autre jet d'étincelles. Seulement des faits et une ambiance qui invite le lecteur à la possibilité d'une explication vaguement surnaturelle. Le film troquant les mots pour l'image - et peut-être aussi pour brasser un plus large public -, rend très vite plus concrète l'existence de la magie : les Owens sont dès le départ baptisées sorcières et l'on parle sans détour de malédiction. Malgré cela et quelques effets spéciaux dans les scènes finales, on doit reconnaître une sobriété globale qui  fait honneur au film et lui donne une épaisseur inattendue au regard du synopsis de départ.

La vie au manoir des Owens : 
"du gâteau au chocolat au petit-déjeuner et surtout, on ne s'ennuie avec avec des choses inutiles comme les devoirs ou se laver les dents".

"Ma chérie, 
quand comprendras-tu qu'être normal n'est pas nécessairement une vertu?
Cela dénote plutôt d'un manque de courage!" 

  En effet, il se dégage de ces Ensorceleuses un... sentiment surnaturel de normalité! Le jeu des actrices principales y est pour beaucoup, toutes deux offrant une prestation d'une sincérité qui invite à l'identification : alors qu'elles ne se connaissaient que de réputation avant le tournage, elles donnent l'impression d'être réellement sœurs. Elles s'aiment comme des sœurs, rient comme des sœurs, se disputent comme des sœurs. Sandra Bullock joue à merveille la mère courage qui tente de se satisfaire de sa vie rangée et Nicole Kidman, qui n'était pas encore la star qu'on connait aujourd'hui, est méconnaissable dans le rôle de cette adulte-ado lascive et un peu fofolle à la fois. Toutes deux irradient l'écran d'une spontanéité très crédible face aux situations complexes auxquelles elles se trouvent confrontées, choisissant l'option de la magie lorsqu'elles sont poussées à leur dernière extrémité, tandis qu'elles se limitent au quotidien à deviner les signes dans les phases de la lune. 

 les superbes intérieurs du manoir Owens...

  La magie, dans ce film, est évidemment incarnée par les décors de la superbe maison des Owens. De la vague bâtisse aux meubles de merisier décrite dans le livre, le film a fait une bâtisse victorienne qui sent bon le poids des ans, à l'intérieur comme chargé d'une âme, d'une aura enchanteresse, propre aux vieilles demeures. Cette maison, c'est l'univers des Tantes, que l'on croise à peine dans le roman et que l'adaptation a l'excellente idée de mettre au premier plan : présentes quasiment du début à la fin du film, elles apportent la touche de magie assumée et exubérante. La costumière a du énormément s'amuser avec ces deux personnages de matriarches extravagantes : le roman décrivait deux vieilles femmes en bottines à lacets, le film en fait deux douces parias totalement fantasques qui persistent à s'habiller à la mode edwardienne à la veille du XXIème siècle. Il faut applaudir le talent des deux actrices, prodigieuses : Stockard Channing, grande actrice américaine de théâtre, cinéma et télévision, incarne la cynique Frances, et la géniale Diane Wiest (en son temps égérie de Woody Allen), la douce et maternelle Jet. Elles sont respectivement le sel et le sucre de ce film, selon Denise Di Novi. Le plus drôle est que le doublage français leur a attribué un accent anglais! Si cela est d'une totale incohérence, la raison est que Stockard Channing se doublant elle-même, il fallait nécessairement que la voix française de sa collègue soit également marquée d'un accent, et le résultat ajoute encore un peu plus de charisme à ces deux adorables vieilles filles!

Stockard Channing (Frances) et Diane Wiest (Jet)

  A sa sortie, le film ne rencontra pas le succès escompté. Mais le plus étrange est que sa renommée s'est construite sur la durée, que de nombreuses communautés de fans se sont créées par la suite, et en parlent encore aujourd'hui! Alice Hoffman - qui confia pour sa part avoir été enchantée par cette adaptation - et Denise Di Novi sont régulièrement accostées par des fillettes qui le revendiquent comme étant leur film favori.


  On avait reproché au film de ne pas avoir su choisir entre comédie, fantastique, et romance. Mais pourquoi faudrait-il choisir? Griffin Dunne avait, selon Nicole Kidman, un goût tout aussi prononcé pour le macabre que pour la fantaisie, deux atmosphères que l'on retrouve à égales mesures sans jamais chuter dans le mauvais goût ou l'excès : à l'émotion suivent des scènes à pleurer de rire (Oh, la margarita de minuit et les quatre sorcières complètement ivres - tout comme les actrices, parait-il, après de trop nombreuses prises et une tequila de mauvaise qualité!). Après tout, la vie elle-même n'est définitivement ni tragique, ni romantique, ni comique : c'est un charmant florilège de tout cela à la fois. Et c'est peut-être ce qui explique qu'on se sente si proche des personnages et de leur histoire en dépit des quelques manifestations supranormales et de la toile de fond fantastique : Practical Magic parle tour à tour d'héritage, de deuil, de famille, de préjugés, de refoulement, d'acceptation et même d'amour, par ailleurs sans jamais tomber dans la niaiserie.

 " As tu déjà ouvert les bras et tourné très vite sur toi même ?
C'est a ça que l'amour ressemble...
ça te fait battre le cœur ça te change complètement le monde!
Mais si tu ne fais pas attention, si tu ne gardes pas les yeux sur un point fixe, tu ne vois pas ce qui arrive... Tu ne vois pas que tu vas tomber ! "

La lettre de Sally à Gillian, un de mes passages préférés.

  Encore aujourd'hui, presque vingt ans après sa réalisation, on aime encore ce film. C'est d'ailleurs le sujet d'un récent article de l'auteure Carolyn Turgeon : comme pour elle, regarder Practical Magic revient à nous laisser nous immerger dans une atmosphère parfumée et chaleureuse ; c'est l'envie de quitter notre quotidien plat et insignifiant pour, après quelques instants dans cet univers,  retourner à notre train-train avec la volonté d'y déchiffrer nous aussi les petits signes du destin. 

  Et enfin, le petit plus qui ne gâche rien, la bande-origniale, composée pour moitié de thèmes originaux d'Alan Sivestri et de chansons pop-folk des années 90, est des plus entrainantes!

Thème principal du film, par le compositeur Alan Silvestri

En bref : Que dire de plus si ce n'est, de façon totalement subjective, que c'est le meilleur film de sorcières?

9 commentaires:

  1. et bin y'a pas a dire....tu l'aimes ce film...et tu nous le fais aimer...oui on a envie de le voir...c'est fou...;)

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    1. Alors il faut le voir ! Vite, hop hop hop, interrogation écrite la semaine prochaine ! ;)

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  2. C'est fou, je ne l'ai jamais vu ! Hop hop hop... j'y cours !

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    1. C'est vrai! le challenge Halloween est l'occasion ou jamais de se rattraper ;)

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  3. Je vais essayer de le trouver, après lecture de ton billet, ça s'impose.
    Mon film de sorcière était tellement plombant, une ambiance chaleureuse me ferait le plus grand bien. :)

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    1. Oh, tu verras, c'est le genre qui donne envie de croire aux sorcières! :)

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  4. J'adore aussi ce film !! Et du coup, j'ajoute un lien vers ton billet concernant la maison des Tantes Owens :-) Bon dimanche, Pedro !

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