The Chilbury Ladies' Choir, Harper Collins, 2018 - Editions Albin Michel (trad. de F. du Sorbier), 2018.
1940. Un paisible village anglais voit partir ses hommes au front.
Restées seules, les femmes affrontent une autre bataille : sauver la
chorale locale pour défier la guerre en chantant. Autour de Miss
Primrose Trent, charismatique professeur de chant, se rassemble toute
une communauté de femmes, saisie dans cet étrange moment de liberté :
Mrs Tilling, une veuve timide ; Venetia, la "tombeuse" du village ;
Sylvie, une jeune réfugiée juive ; Edwina, une sage-femme qui cherche à
fuir un passé sordide. Potins, jalousies, peurs, amours secrètes… Entre
rires et larmes, Jennifer Ryan, s'inspirant des récits de sa grand-mère
qui a vécu le conflit depuis un petit village du Kent, sonde les âmes de
ce chœur que vous n'êtes pas près d'oublier.
Un petit bijou d'intelligence et d'esprit typiquement british, dans la lignée du Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates et de La dernière conquête du major Pettigrew.
***
Un résumé des plus tentants et des références de qualité : la quatrième de couverture de ce roman ne lésine pas pour retenir l'attention du potentiel lecteur. Ah, et on a oublié de vous dire que la narration, polyphonique, alterne entre lettres et extraits de journaux intimes... C'est bon, convaincu?
" Bien sûr que les femmes peuvent chanter sans les hommes. Qu'est-ce que je fais dans ma baignoire toutes les semaines ?"
Bienvenue à Chilbury, donc. Nous sommes en 1940 et tous les hommes de ce petits village du Kent ont été envoyés au front, à part les plus âgés ou les impotents. Or, sans homme, il manque désormais un certain nombre de voix nécessaires à la chorale de la paroisse. Ne pouvant se résoudre à mener un chœur de voix exclusivement féminines, le pasteur dissout la chorale, ce qui plonge les habitantes de Chilbury dans le plus grand désarroi. Mais Miss Primrose Trent, professeure de musique récemment installée au village, propose de lever le tabou que constituerait la formation d'un groupe de chanteuses, et invite toutes les femmes à se réunir pour former la toute nouvelles Chorale des Dames de Chilbury. Au sein de ce groupe se retrouvent ainsi Mrs B., maîtresse-femme caractérielle qui s'oppose au projet mais refuse l'idée de ne pas en être, Mrs Tilling, infirmière veuve altruiste et perspicace, Edwina, sage-femme aux activités peu recommandables, ainsi que les filles du général Winthrop, dont le fils aîné vient de perdre la vie à la guerre. Très vite, le voile se lève sur l'intimité de chacune d'entre elles et, malgré leurs différences et divergences d'opinion, toutes se découvrent ou se redécouvrent à travers leur volonté de faire vivre cette chorale un courage et une pugnacité insoupçonnés pour survivre ensemble à cette guerre... et à leurs propres fantômes.
" On ne peut pas se faire une image de quelqu'un qui est mort, a-t-il
répliqué tout net. Croyez-moi, j'ai essayé. Il y a tant de choses
intangibles chez une personne, une foule de petits détails, son passé,
mille et une petites habitudes agaçantes, la façon dont elle parle, son
odeur. Ce sont tous ces détails - et beaucoup d'autres encore - qui lui
donnent cette densité et cette complexité que l'on peut recréer. On peut
se servir de photographies, de portraits, de poèmes, de parfums, de
tout ce qu'on peut trouver qui est susceptible de vous la rappeler, mais
essayer de transmettre à un enfant l'essence de sa mère ne peut être au
mieux que fragmentaire."
Le cercle littéraire d'amateur d'épluchures de patates montrait comment les rescapés de la Seconde Guerre mondiale avaient trouvé le courage nécessaire dans la lecture, et Petites recettes du bonheur pour les temps difficiles évoquait les épouses en attente de nouvelles du front, qui survivaient à la dure réalité de la vie grâce à leur correspondance et aux conseils de cuisine. Cette fois, c'est à travers le chant que ce roman met en scène un groupe de protagonistes cherchant à garder le moral pendant les conflits armés. On retrouve ici tout la finesse délicieusement british du premier et toute la profondeur et l'humanité du second.
"Liste des choses à retenir avant que quelqu'un parte à la guerre :
La forme de son corps, le morceau de vide qui restera une fois qu'il sera parti.
La façon dont il bouge, son allure quand il marche, la vitesse à laquelle il se retourne pour regarder.
Le mélange d'odeurs et de parfums qui ne subsiste qu'un temps.
Sa couleur, son éclat qui fait passer au second plan tout ce qu’il fait, y compris sa mort."
La forme de son corps, le morceau de vide qui restera une fois qu'il sera parti.
La façon dont il bouge, son allure quand il marche, la vitesse à laquelle il se retourne pour regarder.
Le mélange d'odeurs et de parfums qui ne subsiste qu'un temps.
Sa couleur, son éclat qui fait passer au second plan tout ce qu’il fait, y compris sa mort."
En effet, le style, très anglais, rappelle à quel point les Britanniques sont doués pour ce genre d'intrigue alliant légèreté et drame sans jamais tomber dans le mélo : toute en subtilité et ce malgré l'omniprésence de la guerre en arrière-plan, laquelle n'est pas sans de tristes répercussions alors même que le lecteur finit par se croire en sécurité à Chilbury. C'est cet alliage typiquement british, cette alchimie des tons et le charisme des personnages, qui fait de cette histoire qui aurait pu être un simple feel good book un peu facile le livre finalement très touchant qu'il se révèle être.
" J'ai compris alors ce que c'est d'être adulte : apprendre à trancher
face à une série de choix désastreux, et s'accommoder au mieux de
l'horrible compromis qui en découle."
Car, au fond, le scénario (ou les scénarii, si l'on veut parler des histoires propres à chaque personnage) est parfois cousu de fil blanc, et certains personnages un peu trop transparents lorsqu'on devine progressivement que même les plus vils finiront par s'amender. Mais il y a toujours cette délicatesse toute anglaise dans la restitution des émotions ou la description des anti-héros qui composent cette histoire et, même, une certaine perspicacité dans la réflexion que suggère l'auteure à travers eux ou les événements qu'ils traversent. C'est cela qui fait toute la différence et amène le lecteur à s'attacher farouchement aux courageuses quoi qu'imparfaites, comme tout à chacun, membres de cette chorale et, la rigueur et l'immersion historiques aidant, à se croire le temps de quelques pages véritablement habitant d'un village pendant 39-45.
Plan de Chilbury, présent dans les éditions en VO (cliquez pour voir en grand).
" Le fait de se rendre compte qu'on va mourir rend en fait la vie
meilleure, car c'est à ce moment-là seulement qu'on décide de vivre la
vie qu'on veut vraiment, et non celle que les autres veulent pour nous.
Et qu'on décide aussi de profiter de chaque minute."
La chorale, par ailleurs, si elle est bien au centre de l'intrigue, l'est davantage en terme de "fil rouge" reliant les destins à la fois si différents, et pourtant si semblables face à la terreur de la guerre, à l'angoisse de l'attente, ou au deuil. Elle vient rappeler l'importance de la cohésion et de la chaleur humaine lors des moments les plus difficiles, et ce à travers une pluralité de discours qui donnent envie de croire, au moins le temps de 462 pages, à la solidarité et à l'altruisme.
" Ça m'a rappelé le dernière guerre, la Grande, où tout l'argent du monde
ne pouvait vous permettre d'échapper à la mort. Devant elle, nous sommes
tous égaux."
" Le deuil est partout le même, où que l'on aille: écrasant, inexorable,
assourdissant. Comme nous sommes résilients, nous autres humains, qui
pouvons apprendre lentement à continuer à vivre lorsque nous nous
retrouvons seuls, à remplir le vide tant bien que mal!
Ou à nous laisser happer par lui."
Ou à nous laisser happer par lui."
En bref : Un roman chorale (dans tous les sens du terme) qui pourrait paraître facile dans son déroulement mais dont la "patte" anglaise, dans la plume comme dans les descriptions des personnages, fait toute la différence. La chorale des dames de Chilbury est un roman doux-amer d'une grande délicatesse qui, en plus d'immerger le lecteur dans le quotidien d'un village pendant les conflits de 39-45, est habité d'une profonde sincérité et porté par des protagonistes très attachants.
Et pour aller plus loin...
Si vous avez aimé ce livre, vous aimerez sûrement:
- le Cercle littéraire des amateurs d'éplucheurs de patates!
-Petites Recettes du Bonheur pour les temps difficiles, un roman épistolaire feel good acclamé par la critique et présenté comme le digne successeur du Cercle littéraire d'amateurs d'épluchures de patates.
Et pour aller plus loin...
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- le Cercle littéraire des amateurs d'éplucheurs de patates!
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