dimanche 9 février 2025

Le 10ème Royaume - une mini-série de David Carson & Herbert Wise.

Le 10ème Royaume

(The 10th Kingdom)

 
Une mini-série écrite par Simon Moore et réalisée par David Carson & Herbert Wise

Avec : Kimberly Williams, Scott Cohen, John Larroquette, Daniel Lapaine, Diane Wiest, Rutger Hauer, Warwick Davis, Camryn Manheim...

Première diffusion originale : du 27 février au 2 mars 2000 sur NBC
Première diffusion française : du 22 décembre 2000 au 12 janvier 2001 sur M6

    Aux frontières de notre réalité se trouve un portail qui mène à Neuf Royaumes, des mondes enchantés où furent inventés les contes de fées les plus célèbres. Mais contrairement à la coutume, les héros n'y vivent pas toujours heureux et n'ont pas toujours beaucoup d'enfants ! Car une reine maléfique désire s'emparer du pouvoir. Grâce à un sortilège, elle parvient à transformer le prince Wendell en un simple chien. Ce dernier s'échappe à travers un miroir magique qui le transporte au cour du mythique 10ème Royaume : Central Park. Là, il rencontre Virginia et Tony qui l'aideront à combattre une pléiade de créatures féériques et à reconquérir son royaume au travers d'une épopée semée d'embûches et de maléfices.

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    Attention, grosse séquence nostalgie. Diffusée il y a à présent plus de vingt ans à l'occasion des fêtes de Noël, cette mini-série a durablement marqué notre mémoire – et certainement celle de nombreux autres jeunes téléspectateurs des 90's. Véritable madeleine de Proust, pépite régressive et gourmandise télévisuelle encore furieusement efficace malgré ses deux décennies, Le 10ème Royaume figure pour des tas de bonnes et de fausses bonnes raisons au panthéon de nos séries favorites. Un morceau d'enfance éternellement associé aux fêtes de fin d'année qu'il était grand temps, enfin, d'évoquer ici.
 

"Je m'appelle Virginia et j'habite à la lisière de la forêt"

    Ainsi commence le premier épisode de cette-mini série en 5 parties produite par Hallmark Entertainment. Virginia Lewis vit dans un immeubles aux abords de Central Park avec son père, Tony, concierge et homme à tout faire de la résidence. Depuis que sa mère s'est enfuie de la maison sans donner de nouvelles il y a de cela plusieurs années, la jeune femme rêve d'une vie meilleure où elle ouvrirait son propre restaurant et reprendrait les rênes de son destin. Pendant de ce temps, dans un univers parallèle, une reine diabolique incarcérée dans la prison du mémorial de Blanche-Neige parvient à s'échapper et à ensorceler son beau-fils, le prince Wendell, à quelques jours de son couronnement. Descendant de la réelle Blanche-Neige et prétendant au trône, le prince se voit métamorphosé en chien tandis que sa belle-mère prépare un usurpateur à prendre sa place, dans l'idée de tirer les ficelles et de reprendre la main sur les 9 Royaumes que compte le pays. Mais Wendell parvient à s'échapper et traverse un miroir magique qui le propulse à New York, où il croise le chemin de Virginia et Tony. Alors qu'un loup et des trolls sont lancés à leur poursuite, nos héros n'auront bientôt d'autre choix que de traverser le miroir à leur tour pour gagner les 9 Royaumes. Ils découvriront alors que l'histoire de cet univers est intimement liée à la leur et que leur présence ici n'a rien d'un hasard.
 
Wishing on a star, le générique inoubliable de la série.
 
    Indissociable de son inoubliable générique Wishing on a star chanté par Anne Dudley (à qui l'on doit, entre autres, les musiques des films The Full Monty, Black Book, ou encore de la série Poldark), Le 10ème Royaume jouit encore aujourd'hui d'une certaine renommée en dépit des années écoulées et de l'avalanche de séries fantastiques maintenant disponibles sur les plateformes. La revue L'écran fantastique, dans un hors-série anniversaire consacré aux productions fantastiques des dernières décennies, avait à ce titre publié une critique on ne peut plus élogieuse du 10ème Royaume qui, selon la rédaction, n'avait pas pris une ride, et avait certainement annoncé avec dix ans d'avance des séries comme Once Upon A Time.  Diffusée pour la première fois en 2000, elle témoigne à ce titre d'une audace particulière : il y avait bien sûr eu des précédents en matière de fictions de fantasy pour la télévision, mais il s'agissait alors davantage de téléfilms et rarement de créations d'une telle ampleur. Production anglo-germano-américaine, Le 10ème Royaume a en effet été tourné dans de nombreux pays : en France (à Kaysersberg et à l'écomusée d'Alsace), en Angleterre (dans le Sussex et le Buckinghamshire), en Autriche, ainsi qu'aux États-Unis. La plupart des décors, naturels, vaut ainsi largement les reconstitutions en studio ou en images de synthèse du cinéma à grand spectacle tel que le conçoit désormais et le tout séduit par son authenticité.
 
Royaume fantastique au reflet de cité de pierre et de fer :
même dans ses affiches promotionnelles, Le 10ème Royaume semble avoir influencé Once Upon A Time...

    Outre son aspect avant-gardiste qui rend la série encore tout à fait regardable, on ne saurait dire exactement à quoi tient son charme intemporel. La mythologie créée par son auteur, Simon Moore, qui puise dans les contes de Grimm et les légendes européennes, y est sans doute pour beaucoup, car quel imaginaire collectif est plus universel que celui des contes de notre enfance ? Partagé par tous et appartenant en même temps à chacun de façon très personnelle, voire intime, ces histoires, qu'on les ait lues à la bibliothèque ou qu'on nous les ait racontées au chevet de notre lit, font partie du socle de nos références culturelles et de nos symboles. S'il s'appuie sur les versions littéraires traditionnelles, Simon Moore n'hésite pas à entremêler les histoires, celles-là partageant donc un paysage commun (celui des 9 Royaumes), où elle ne sont plus seulement des contes, mais où elles constituent le passé historique, le patrimoine du territoire au même titre que nos rois et présidents.
 

    Il y a donc une sorte de plaisir régressif, pour le téléspectateur, à partir aux côtés de Virginia à la découverte de cet univers, dont certains éléments touchent presque à l'archéologie locale (lorsqu'elle tombe sur l'ancienne chaumière des sept nains, on apprend que les historiens des 9 Royaumes avaient perdu tout espoir d'en retrouver le moindre vestige depuis des décennies). On se laisse prendre par le jeu de piste proposé par le scénariste, cherchant la moindre allusion ici ou là à un conte connu, le moindre objet tiré d'une histoire racontée autrefois au coin du feu. Ces derniers deviennent des artefacts, des quasi reliques : les chaussures d'invisibilité des trolls, les haricots magiques, le peigne empoisonné de la Méchante Reine... Méchante Reine que l'on retrouve dans sa crypte, entourée de vestiges de miroirs brisés, au cours de deux scènes aussi fascinantes que terrifiantes.
 

    Si le conte de Blanche-Neige a une place primordiale dans le scénario, c'est probablement encore une fois de par son rayonnement particulier, son statut tacitement admis de "conte des contes" et la portée scénaristique de ses objets magiques. Les miroirs ont en effet une place centrale dans l'intrigue puisqu'ils font l'objet d'une véritable quête des personnages pour rentrer chez eux et même les nains des mines, non contents de chercher des diamants, les y fabriquent dans le plus grand secret. Outre la sépulture de sa diabolique marâtre, on découvre aussi au cours d'une scène très émouvante la tombe de Blanche-Neige, où son fantôme apparaît à l'héroïne au cours d'un moment particulièrement fort en terme d'arc narratif.
 
 

    Confrontation des univers oblige, Simon Moore se permet des scènes d'humour réussies en jouant avec les anachronismes. On ne peut ainsi qu'éclater de rire face aux trolls qui se prennent de passion pour les Bee Gees (au point de voler un poste radio, une "boite à musique" qui n'est pas sans rappeler la "boite à troubadours" des Visiteurs), de même qu'on ne se lasse pas de Virginia réinterprétant We will rock you de Queen afin de remporter le concours de la plus jolie bergère. Pour rester dans la veine musicale, que dire de ces champignons magiques (et hallucinogènes) qui chantent A whiter shade of pale dans les marais maudits ? On en redemande ! L'autre excellente source d'humour vient du double niveau de lecture possible de certains dialogues selon l'âge du téléspectateur : la queue de loup-garou de Wolf qui prend la fâcheuse manie de se montrer lorsqu'il est d'humeur coquine, son syndrome de "stress post-menstruel" après la pleine lune... des éléments dont on n'avait évidemment pas compris le sens lors de notre premier visionnage, à l'âge de 9 ans, mais qui nous font encore plus apprécier cette série aujourd'hui.
 

    Histoire dans l'histoire, Le 10ème Royaume s'amuse aussi d'une belle mise en abyme : le périple de Virginia y est en effet celui d'une héroïne de conte de fée moderne. Orpheline comme nombre de ses consœurs chez Grimm, Perrault, ou Leprince de Beaumont, elle vit seule avec son père dans l'attente qu'une aventure l’amène à s'en détacher, à prendre son envol et trouver son propre bonheur. Comme toute princesse qui se respecte au début du conte, blanche, pure et virginale, Virginia ne porte pas son nom par hasard. La quête des personnages de conte qu'elle croisera au cours de son périple feront écho à sa propre quête et elle devra apprendre à composer avec les secrets qui pèsent sur son histoire. En cela, Le 10ème Royaume dépasse de beaucoup le simple divertissement fantastique pour dimanche après-midi pluvieux : les personnages, imparfaits, peuvent nous émouvoir aux larmes et l'histoire se dote alors d'une belle profondeur.
 

     Le casting est un autre élément qualitatif de cette mini-série : on y retrouve en effet de grands noms du cinéma américain, à l'image de Diane Wiest, actrice fétiche de Woody Allen aussi connue pour ses rôles dans Les Ensorceleuses, L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux ou encore I care a lot. A ses côtés, Camryn Manheim interprète une Blanche-Neige plus mature, extrêmement convaincante, d'autant qu'elle en profite au passage pour interroger la subjectivité de la beauté en l'incarnant sans que la question de son physique ne se pose une seule fois (ce qui, en l'an 2000 est là aussi furieusement d'avant-garde). En chasseur, on retrouve le défunt Rutger Hauer, célèbre comédien du cinéma de genre aux faux airs d'Anthony Hopkins, très crédible dans son rôle de criminel à la solde de la Reine. Les principaux interprètes sont aujourd'hui moins connus, mais Kimberly Williams (superbe et émouvante Virginia) était à l'époque la jeune actrice à la mode et Scott Cohen, avec déjà une longue carrière au cinéma, campe ici un personnage de loup aussi séduisant que malicieux. Tous donnent vie à leurs personnages avec talent et nous manquent décidément beaucoup trop une fois que se déroule le générique du cinquième et dernier épisode.
 

    Car si le succès de la série s'est fait croissant au fil des années et des rediffusions, la suite, longtemps promise et en partie écrite, n'a finalement jamais vu le jour. Intitulée La maison des loups, elle devait conduire nos personnages à la découverte de la forêt du petit chaperon rouge, où une académie secrète formait des écolières vêtues de longues capes écarlates pour distribuer secrètement des messages à travers les 9 Royaumes. Finalement abandonnée malgré les annonces du scénariste et de la production, cette suite fait encore l'objet de pétitions et de demandes enfiévrées des fans à travers le monde qui ne désespèrent pas de la voir diffusée un jour. La mode étant aux reprises et aux reboots, on avoue qu'on commencerait presque à y croire nous aussi...
 
 
 
En bref : Véritable madeleine de Proust et création télévisuelle d'avant-garde dans son genre, Plus de 20 ans après sa diffusion, Le 10ème Royaume se laisse encore regarder avec (grand) plaisir. Précurseur dans son fond comme dans sa forme, ce programme parvient à rendre un hommage réussi aux contes traditionnels et à leur redonner vie tout en racontant une histoire inédite alliant humour et émotion. Une pépite dont on ne se lasse pas, parfaitement régressive en période de fêtes.


dimanche 2 février 2025

Blanche-Neige - Texte de Gaël Aymon, illustrations de Peggy Nille.

Editions Nathan, 2018.





    Il neige. Trois flocons se sont posés sur la fenêtre givrée. Dans le château, sur la montagne, dans la forêt, une petite princesse est née.
— Aussi belle que l'hiver, aussi blanche que la neige, elle s'appellera Blanche-Neige ! dit le roi émerveillé.
 
 
 

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    Nous continuons notre florilège d'albums consacrés à Blanche-Neige, avec cette fois-ci une édition bien particulière. Nous avons en effet jusqu'ici essentiellement présenté des mises en image diverses et variées du même texte des frères Grimm, l'intérêt se portant donc davantage sur la forme que sur le fond. Cet ouvrage paru chez Nathan en 2018 présente à ce titre un intérêt supplémentaire : le conte n'y est pas la version allemande que tout le monde connait, ni une révision simplifiée de ce même texte, mais bien une nouvelle vision de l'histoire, nourrie de croisements entre différentes variations étrangères.


    Aussi, à la plume, on retrouve ici le talentueux Gaël Aymon, romancier jeunesse dont on avait beaucoup aimé le Silent Boy, lu il y a quelque temps. Grand amoureux de l'histoire de Blanche-Neige et de ses versions alternatives, il s'inspire ici des variantes russes d'Alexandre Afanassiev et d'Alexandre Pouchkine, qu'il entremêle avec l'intrigue conçue par les frères Grimm afin de proposer une lecture composite, joli brassage culturel qui s'affranchit des frontières en jouant avec les multiples symboles de cette histoire ancestrale.
 

    La trame est donc tout à fait reconnaissable et Gaël Aymon s'amuse des détails empruntés à telle ou telle version, qu'il glisse ici ou là : comme chez Afanassiev, la Méchante Reine n'est pas la belle-mère, mais bien la mère naturelle de Blanche-Neige (une différence de taille par ailleurs déjà présente dans une première version de Grimm, beaucoup moins connue). Comme chez Pouchkine, le prince se prénomme Elysée et ce dernier interroge le soleil, la lune, puis le vent afin de retrouver la trace de sa dulcinée. Comme chez Grimm, c'est chez des nains que la princesse se réfugie et c'est en recrachant le morceau de pomme empoisonnée resté coincé dans sa gorge qu'elle revient à la vie. Également très inspiré par l'adaptation en court-métrage animé de La princesse morte et les sept chevaliers produit par le studio soviétique Soiouzmoultfilm qu'il adore (il nous l'a confié de vive voix lors d'une récente rencontre), Gaël Aymon lui emprunte des tournures de phrase ou se réapproprie certaines de ses lignes de dialogue qui, à la façon d'une madeleine de Proust, réveille quelque chose dans la mémoire et l'imaginaire des connaisseurs.
 

    Aux illustrations, on retrouve Peggy Nille, dont on connaissait l'univers aux traits naïfs et aux couleurs chatoyantes. Pour ce Blanche-Neige, elle se renouvelle totalement : on reconnait évidemment son coup de crayon caractéristique et la simplicité des visages et des silhouettes, mais elle quitte ses teintes et motifs bariolés habituels pour une mise en couleur beaucoup plus subtile. Elle privilégie en effet un noir et blanc d'une grande sobriété auquel elle ajoute une pointe de rouge sang pour quelques éléments caractéristiques de chaque dessin (pommes, fleurs et lèvres), et quelques touches de doré pour mettre en relief enluminure, bijoux, astres et couronnes.


    Un peu à la façon d'un théâtre d'ombres chinoises, la silhouette des végétaux se découpe avec beauté et finesse. La nature occupe en effet une place centrale dans les larges illustrations de Peggy Nille : bouleaux blancs dans la nuit noire, fougères arborescentes, lichens et champignons envahissant avec grâce les grandes compositions de l'illustratrice. Des décors dans lesquels on aimerait se perdre, lanterne à la main...


En bref : En entremêlant plusieurs versions de Blanche-Neige – notamment les réécritures russes – Gaël Aymon propose une lecture composite, riche de cultures diverses et d'horizons variés, aussi exotique que séduisante. Les illustrations de Peggy Nille, qui joue avec les ombres et les silhouettes, apportent une grâce particulière à ce très bel album. Une petite merveille.