lundi 16 avril 2012

Snow - Tracy Lynn

Turtleback Books, 2003 - Simon Pulse, 2006.

    Pays de Galle, époque Victorienne: L'enfance de la jeune duchesse Jessica commence avec une tragédie, la mort de sa mère lorsqu'elle la met au monde. Son père, le Duc, dévasté par la perte de son épouse, se désintéresse totalement de l'enfant qui se retrouve alors livrée à elle-même dans les couloirs du manoir familial. Élevée par les gens de maison, Jessica grandit avec les enfants des serviteurs et passe toutes ses journées en cuisine ou aux écuries, où elle reçoit une éducation bien loin de correspondre à sa condition.
    Quelques années plus tard, le Duc décide de se remarier afin de donner un héritier mâle à sa famille. Sa nouvelle épouse, la Duchesse Anne de Mogador, apporte alors avec elle sa suite de rumeurs effrayantes: veuve plusieurs fois, on raconte qu'elle aurait tué ses précédents maris ; femme de sciences, on la dit aussi sorcière et adepte du mesmérisme... Mais Jessica, elle, espère trouver en cette femme une mère de substitution capable de la prendre sous son aile et de l'aimer comme l'aurait fait la défunte duchesse, dont seul lui reste le portrait dans un médaillon en forme de cœur.
    A peine installée dans ses nouveaux appartements, Anne de Mogador envahit le manoir de ses traités de sciences et de son matériel de chimie et d'astronomie, en même temps qu'elle reprend non sans fermeté les rênes de l'éducation de Jessica, afin d'en faire une jeune duchesse à son image. Elle lui impose alors un précepteur à longueur de journée, des cours de maintien et le port de tenues appropriées à sa caste (corsets douloureux et jupons à n'en plus finir), soit tout ce que Jessica a en horreur mais accepte en silence...
    Cependant, tandis que les années passent, Anne réalise qu'elle perd ses chances de donner un héritier à son époux et sombre peu à peu dans une obstination et une obsession proches de la folie : Jessica, symbole de beauté, de jeunesse, et de fécondité, devient alors l'objet de colère de sa belle-mère, qui décide de la faire assassiner pour apaiser sa jalousie. Avertie à temps des intentions de la duchesse, Jessica, sous le pseudonyme de Snow, quitte clandestinement le manoir pour les rues brumeuses de Londres. Elle y est recueillie par une étrange bande de pickpockets vivant cachée des regards extérieurs dans les bas-fonds de la ville... Mais dans le cabinet secret où elle se livre à d'étranges expériences alchimiques, la duchesse Anne prépare sa vengeance...

***

     Poursuivons nos lectures sur le thème de Blanche-Neige, avec Snow, premier tome de la collection américaine "Once Upon a Time", qui se compose uniquement de réécritures de contes classiques. Le concept est tentant : chaque titre est confié à un ou une auteure américaine qui a la liberté de réinventer l'histoire originale en la contextualisant dans le décor et l'époque de son choix. Reste à voir si cette lecture ne souffrira pas de la comparaison avec Mirror Mirror...

    D'emblée, admettons que l'entrée en matière est moins audacieuse que chez Gregory Maguire et beaucoup plus classique (car plus dans l'esprit du conte original, exceptés le prénom et le rang de l'héroïne). L'action est sensée se dérouler dans l'Angleterre Victorienne, mais la reconstitution est difficilement palpable dans l'ambiance que cherche à instaurer l'auteure et il faut attendre la moitié du roman pour reconnaître l'époque à partir des descriptions de gares bondées et de ville grouillante. Seulement dès lors le décor brumeux du Londres du XIXème apparait...


    On aurait également pu croire que l'auteure allait proposer une relecture réaliste du conte, sans élément fantastique ou merveilleux. En effet, la magie n'est pas évoquée et les pouvoirs du miroir sont remplacé par un personnage de serviteur qui répond aux question de la marâtre tandis qu'elle admire son reflet. Mais peu à peu, T.Lynn invite des éléments au parfum de fantasmagorie qu'elle associe aux sciences parallèles et à l'alchimie (on parle aussi d'hypnose ou de mesmérisme à plusieurs reprises, par exemple) avant de sombrer peu à peu dans... le steampunk ! L'idée, si elle n'est pas mauvaise, peut surprendre le lecteur en ce que l'univers se présente de façon assez soudaine : à peine a-t-on compris qu'on se trouve dans le siècle victorien qu'il faut soudain l'imaginer envahi de mécaniques infernales...
 

    Face à ces aspects quelque peu inégaux, l'auteure parvient cependant à nous servir des éléments positifs : on s'attache furieusement aux personnages et l'héroïne a un caractère particulièrement bien trempé : élevée au contact des enfants des domestiques, on découvre une version de Blanche-Neige revancharde et garçon manqué qui apporte un vrai piment à l'intrigue. Également passionnée de littérature et de philosophie, elle peut ainsi évoquer une héroïne à mi-chemin entre celle du film A tout jamais; une histoire de Cendrillon et celle de la série de livres Les enquêtes d'Enola Holmes. La duchesse Anne a également quelque chose de fascinant: passionnée de sciences et féministe acharnée, elle fait de nombreuses références à toutes ces grandes femmes de connaissances en avance sur leur temps (elle cite d'ailleurs Marie Curie et George Sand comme modèles). L'évolution de son personnage est particulièrement bien racontée lorsque, sombrant peu à peu dans la folie, elle mêle à ses expériences scientifiques des éléments alchimiques pour espérer concevoir un enfant (ce qui nous offre quelques passages horrifiques à souhait!).

 L'un des traités alchimiques de Nicolas Flamel, peut-être de ceux que possède la perfide Anne de Mogador?

    L'équivalent de la fratrie des sept nains est  le point fort de cette réécriture. Baptisés les "Lovely Ones", il s'agit en fait d'un groupe de cinq "freaks", véritables "monstres de foire" mi-humain, mi-animaux, comme on en voyait dans les cirques itinérants de l'époque. Cachés dans les quartiers mal-famés de Londres, ils ont pris l'habitude de dormir le jour et de ne sortir que la nuit pour se dissimuler des regards extérieurs. Mention spéciale pour le personnage de Raven, mystérieux et poétique à souhait, dont les bras sont couverts de plumes noires. La condition et la nature de ces personnages se voient expliquées à la fin du roman par une révélation inattendue mais efficace, sacrément bien imaginée au regard de l'histoire entière!

 En bref : Malgré son caractère inégal et l'utilisation pas toujours pertinente des ressorts du steampunk, Snow met en scène des personnages attachants et offre quelques belles surprises. La tension dramatique instaurée par l'auteure compense sa difficulté à poser une atmosphère et on se régale des révélations successives.


2 commentaires:

  1. Il me tente moins que Mirror mirror mais je suis tout de même intriguée. J'espère qu'il sortira en VF !

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    1. Je te comprends: L'intrigue de celui-ci est d'emblée moins audacieuse que "Mirror Mirror" et "Snow" souffre forcément de la comparaison =)

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